les glaces. Johnson connaissait le personnel maritime de
Liverpool, et se mit immédiatement en campagne pour recruter son
monde.
Shandon, Wall et lui firent si bien, que dans les premiers jours de
décembre leurs hommes se trouvèrent au complet; mais ce ne fut pas
sans difficultés; beaucoup se tenaient alléchés par l'appât de la haute
paye, que l'avenir de l'expédition effrayait, et plus d'un s'engagea
résolument, qui vint plus tard rendre sa parole et ses à-comptes,
dissuadé par ses amis de tenter une pareille entreprise. Chacun
d'ailleurs essayait de percer le mystère, et pressait de questions le
commandant Richard. Celui-ci les renvoyait à maître Johnson.
«Que veux-tu que je te dise, mon ami? répondait invariablement ce
dernier; je n'en sais pas plus long que toi. En tout cas, tu seras en bonne
compagnie avec des lurons qui ne bronchent pas; c'est quelque chose,
cela! ainsi donc, pas tant de réflexions: c'est à prendre ou à laisser!»
Et la plupart prenaient.
«Tu comprends bien, ajoutait parfois le maître d'équipage, je n'ai que
l'embarras du choix. Une haute paye; comme on n'en a jamais vu de
mémoire de marin, avec la certitude de trouver un joli capital au retour:
il y a là de quoi allécher.
--Le fait est, répondaient les matelots, que cela est fort tentant! de
l'aisance jusqu'à la fin de ses jours!
--Je ne te dissimulerai point, reprenait Johnson, que la campagne sera
longue, pénible, périlleuse; cela est formellement dit dans nos
instructions; ainsi, il faut bien savoir à quoi l'on s'engage;
très-probablement à tenter tout ce qu'il est humainement possible de
faire, et peut-être plus encore! Donc, si tu ne te sens pas un coeur hardi,
un tempérament à toute épreuve, si tu n'as pas le diable au corps, si tu
ne te dis pas que tu as vingt chances contre une d'y rester, si tu tiens en
un mot à laisser ta peau dans un endroit plutôt que dans un autre, ici de
préférence à là-bas, tourne-moi les talons, et cède ta place à un plus
hardi compère!
--Mais au moins, maître Johnson, reprenait le matelot poussé au mur,
au moins, vous connaissez le capitaine?
--Le capitaine, c'est Richard Shandon, l'ami, jusqu'à ce qu'il s'en
présente un autre.»
Or, il faut le dire, c'était bien la pensée du commandant; il se laissait
facilement aller à cette idée, qu'au dernier moment il recevrait ses
instructions précises sur le but du voyage, et qu'il demeurerait chef à
bord du Forward. Il se plaisait même à répandre cette opinion, soit en
causant avec ses officiers, soit en suivant les travaux de construction du
brick, dont les premières levées se dressaient sur les chantiers de
Birkenhead, comme les côtes d'une baleine renversée.
Shandon et Johnson s'étaient strictement conformés à la
recommandation touchant la santé des gens de l'équipage; ceux-ci
avaient une mine rassurante, et ils possédaient un principe de chaleur
capable de chauffer la machine du _Forward_; leurs membres
élastiques, leur teint clair et fleuri les rendaient propres à réagir contre
des froids intenses. C'étaient des hommes confiants et résolus,
énergiques et solidement constitués; ils ne jouissaient pas tous d'une
vigueur égale; Shandon avait même hésité à prendre quelques-uns
d'entre eux, tels que les matelots Gripper et Garry, et le harponneur
Simpson, qui lui semblaient un peu maigres; mais, au demeurant, la
charpente était bonne, le coeur chaud, et leur admission fut signée.
Tout cet équipage appartenait à la même secte de la religion protestante;
dans ces longues campagnes, la prière en commun, la lecture de la
Bible doit souvent réunir des esprits divers, et les relever aux heures de
découragement; il importe donc qu'une dissidence ne puisse pas se
produire. Shandon connaissait par expérience l'utilité de ces pratiques,
et leur influence sur le moral d'un équipage; aussi sont-elles toujours
employées à bord des navires qui vont hiverner dans les mers polaires.
L'équipage composé, Shandon et ses deux officiers s'occupèrent des
approvisionnements; ils suivirent strictement les instructions du
capitaine, instructions nettes, précises, détaillées, dans lesquelles les
moindres articles se trouvaient portés en qualité et quantité. Grâce aux
mandats dont le commandant disposait, chaque article fut payé
comptant, avec une bonification de 8 pour cent, que Richard porta
soigneusement au crédit de K.Z.
Équipage, approvisionnements, cargaison, tout se trouvait prêt en
janvier 1860; le Forward prenait déjà tournure. Shandon ne passait pas
un jour sans se rendre à Birkenhead.
Le 23 janvier, un matin, suivant son habitude, il se trouvait sur l'une de
ces larges barques à vapeur, qui ont un gouvernail à chaque extrémité
pour éviter de virer de bord, et font incessamment le service entre les
deux rives de la Mersey; il régnait alors un de ces brouillards habituels,
qui obligent les marins de la rivière à se diriger au moyen de la
boussole, bien que leur trajet dure à peine dix
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