Aventures Extraordinaires dun Savant Russe; III. Les Planètes Géantes et les Comète | Page 9

Georges le et Henri de Graffigny Faure
sans avoir la prétention d'égaler
lord Byron, le plus fort nageur du siècle, je me tire d'affaire à mon
honneur... Si donc, sir Jonathan n'y voit aucun inconvénient, il va se
mettre à l'eau avec moi et tous les deux nous pousserons l'îlot.
--Mais c'est de l'insanité! s'écrièrent ensemble tous les Terriens...
--Une insanité qui diminuera de cinquante pour cent le poids du radeau
et qui, par cela seul, augmentera sa rapidité dans les mêmes proportions,
sans compter la vitesse que nous pourrons lui imprimer...
[Illustration]
Les voyageurs se regardaient, ne sachant à quoi se résoudre.
Voyant leur indécision, Fricoulet s'écria:

--Essayons toujours... la tentative ne nous fera courir aucun risque;
quant à sir Jonathan, je crois qu'il se soucie autant que moi de prendre
un bain.
[Illustration]
L'Américain examina d'un regard attristé ses vêtements que toute la
journée précédente et toute la nuit avaient à peine suffi à sécher.
--Allons, bougonna-t-il enfin, si vous croyez que cela puisse être de
quelque utilité...
Comme il achevait ces mots, un bruit se fit entendre derrière eux et, se
retournant, ils constatèrent qu'un pan de l'îlot, miné sourdement par les
vagues, venait de tomber à l'eau.
[Illustration]
En même temps, le sol sembla s'abaisser sous la surface liquide et les
voyageurs se trouvèrent avoir de l'eau jusqu'aux chevilles.
Séléna jeta un cri d'épouvante, Gontran courut à elle pour la rassurer et
la prendre dans ses bras; mais, dans le brusque mouvement qu'il fit, il
imprima à l'épave un balancement tel qu'elle faillit chavirer.
--Eh bien! demanda Fricoulet narquoisement, il est temps, je crois, de
jeter du lest... allons, sir Jonathan...
Sur ces mots, il allongea les bras au-dessus de sa tête et, les mains
réunies, piqua une tête dans l'Océan.
L'eau rejaillit en écume argentée; puis, la tête de l'ingénieur reparut
presque aussitôt à la surface.
--Eh bien! demanda-t-il, constatez-vous un allégement?
--Nous avons les pieds presque à sec, répondit Ossipoff.
Farenheit hésitait toujours, promenant ses regards de ses vêtements secs

à la nappe liquide dans laquelle il lui fallait s'immerger.
Déjà Fricoulet avait passé à l'arrière de l'îlot et, nageant d'un bras, le
poussait de l'autre.
Alors, l'Américain eut honte de ses hésitations et, tout en mâchonnant
entre ses dents un juron de mauvaise humeur, il fit comme l'ingénieur
et se jeta à l'eau.
--Hurrah! s'écria Gontran, nous remontons de deux pieds.
--Parbleu! riposta gaîment Fricoulet, juste le poids de ceux de sir
Jonathan... des pieds de trente-huit centimètres!
On navigua ainsi pendant trois heures; les deux nageurs se reposaient
alternativement, l'un faisant la planche et se laissant traîner à la
remorque, pendant que l'autre faisait fonctionner ses moteurs naturels,
ainsi que l'ingénieur appelait ses bras et ses jambes.
La nuit, heureusement, était claire, bien que de légers nuages flottant au
ciel empêchassent d'apercevoir les étoiles; Phobos n'avait point encore
paru à l'horizon; Deimos seul éclairait Mars.
Perdue dans la brume, à quelques kilomètres à peine, la terre de
Noachis apparaissait vaguement.
Mais, maintenant, l'épave semblait ne plus avancer, Fricoulet et son
compagnon étaient épuisés de fatigue et mouraient de faim; tout ce
qu'ils pouvaient faire était de lutter contre un courant dans lequel ils
étaient tombés et qui tendait à les faire dériver vers l'Ouest.
--Je crois bien que nous sommes perdus, murmura l'ingénieur à l'oreille
de l'Américain.
--Perdus... grommela celui-ci,... perdus, lorsque la terre est là... si près
de nous! C'est sombrer au port, By God!
Puis, tout à coup, il poussa un gémissement et balbutia:

--À moi!--Monsieur Fricoulet,--il me semble que je m'évanouis.
Mais avant que l'ingénieur eut pu le saisir par le bras pour le soutenir,
la tête de l'Américain avait disparu.
--Fichtre! grommela Fricoulet, est-ce qu'il va tourner de l'oeil ainsi,
sans dire gare.
Et il s'apprêtait à plonger, lorsque, de l'autre côté de l'îlot, à l'avant, une
voix s'écria, vibrante de joie.
--Sauvés! nous sommes sauvés!
Cette voix était celle de l'Américain.
--On a pied ici, continua-t-il... arrivez donc.
En quelques brasses, l'ingénieur eut rejoint son compagnon et le vit qui
se tenait debout, avec de l'eau jusqu'à la poitrine; doucement il se laissa
couler et fut fort surpris de sentir le sol sous ses pieds; par exemple,
comme il était plus petit que l'Américain, l'eau lui venait jusqu'au
menton.
[Illustration]
--Victoire!--victoire! s'écria-t-il.
Et s'adressant à Gontran et à Ossipoff.
--Si vous m'en croyez, vous ferez comme nous et vous vous mettrez à
l'eau... c'est, je crois, le moyen d'arriver le plus tôt possible à la terre
ferme.
[Illustration]
Une discussion éclata entre le vieux savant et sa fille.
Séléna voulait faire comme ses compagnons, et quitter, elle aussi,
l'épave.

--Je suis honteuse, disait-elle, d'augmenter encore la fatigue de ces
braves amis... Je ne suis pas en sucre et je ne fondrai certainement pas
en suivant votre exemple.
Ossipoff ne voulait pas entendre de cette oreille-là et exigeait que

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