Autour de la Lune | Page 8

Jules Verne
que parce que sa face opposée à la Lune se confondit subitement avec l'obscurité absolue de l'espace.
?Bon voyage! s'écria Michel Ardan en poussant un soupir de satisfaction. Comment! l'infini n'est pas assez grand pour qu'un pauvre petit boulet puisse s'y promener sans crainte! Ah ?à! qu'est-ce que ce globe prétentieux qui a failli nous heurter?
--Je le sais, répondit Barbicane.
--Parbleu! tu sais tout.
--C'est, dit Barbicane, un simple bolide, mais un bolide énorme que l'attraction a retenu à l'état de satellite.
--Est-il possible! s'écria Michel Ardan. La terre a donc deux Lunes comme Neptune?
--Oui, mon ami, deux Lunes, bien qu'elle passe généralement pour n'en posséder qu'une. Mais cette seconde Lune est si petite et sa vitesse est si grande, que les habitants de la Terre ne peuvent l'apercevoir. C'est en tenant compte de certaines perturbations qu'un astronome fran?ais, M. Petit, a su déterminer l'existence de ce second satellite et en calculer les éléments. D'après ses observations, ce bolide accomplirait sa révolution autour de la Terre en trois heures vingt minutes seulement, ce qui implique une vitesse prodigieuse.
--Tous les astronomes, demanda Nicholl, admettent-ils l'existence de ce satellite?
--Non, répondit Barbicane; mais si, comme nous, ils s'étaient rencontrés avec lui, ils ne pourraient plus douter. Au fait, j'y pense, ce bolide qui nous e?t fort embarrassés en heurtant le projectile permet de préciser notre situation dans l'espace.
--Comment? dit Ardan.
--Parce que sa distance est connue et, au point où nous l'avons rencontré, nous étions exactement a huit mille cent quarante kilomètres de la surface du globe terrestre.
--Plus de deux mille lieues! s'écria Michel Ardan. Voilà qui enfonce les trains express de ce globe piteux qu'on appelle la Terre!
--Je le crois bien, répondit Nicholl en consultant son chronomètre, il est onze heures, et nous n'avons quitté le continent américain que depuis treize minutes.
--Treize minutes seulement? dit Barbicane
--Oui, répondit Nicholl, et si notre vitesse initiale de onze kilomètres était constante, nous ferions près de dix mille lieues à l'heure!
--Tout cela est fort bien, mes amis, dit le président, mais reste toujours cette insoluble question. Pourquoi n'avons-nous pas entendu la détonation de la Columbiad??
Faute de réponse, la conversation s'arrêta, et Barbicane, tout en réfléchissant, s'occupa de rabaisser le mantelet du second hublot latéral. Son opération réussit, et, par la vitre dégagée, la Lune emplit l'intérieur du projectile d'une brillante lumière. Nicholl, en homme économe, éteignit le gaz qui devenait inutile, et dont l'éclat, d'ailleurs, nuisait à l'observation des espaces interplanétaires.
Le disque lunaire brillait alors avec une incomparable pureté. Ses rayons, que ne tamisait plus la vaporeuse atmosphère du globe terrestre, filtraient à travers la vitre et saturaient l'air intérieur du projectile de reflets argentins. Le noir rideau du firmament doublait véritablement l'éclat de la Lune, qui, dans ce vide de l'éther impropre à la diffusion, n'éclipsait pas les étoiles voisines. Le ciel, ainsi vu, présentait un aspect tout nouveau que l'oeil humain ne pouvait soup?onner.
On con?oit l'intérêt avec lequel ces audacieux contemplaient l'astre des nuits, but suprême de leur voyage. Le satellite de la Terre dans son mouvement de translation se rapprochait insensiblement du zénith, point mathématique qu'il devait atteindre environ quatre-vingt-seize heures plus tard. Ses montagnes, ses plaines, tout son relief ne s'accusaient pas plus nettement à leurs yeux que s'ils les eussent considérés d'un point quelconque de la Terre; mais sa lumière, à travers le vide, se développait avec une incomparable intensité. Le disque resplendissait comme un miroir de platine. De la terre qui fuyait sous leurs pieds, les voyageurs avaient déjà oublié tout souvenir.
Ce fut le capitaine Nicholl qui, le premier, rappela l'attention sur le globe disparu.
?Oui! répondit Michel Ardan, ne soyons pas ingrats envers lui. Puisque nous quittons notre pays, que nos derniers regards lui appartiennent. Je veux revoir la Terre avant qu'elle s'éclipse complètement à mes yeux!?
Barbicane, pour satisfaire aux désirs de son compagnon, s'occupa de déblayer la fenêtre du fond du projectile, celle qui devait permettre d'observer directement la Terre. Le disque que la force de projection avait ramené jusqu'au culot fut démonté non sans peine. Ses morceaux placés avec soin contre les parois, pouvaient encore servir, le cas échéant. Alors apparut une baie circulaire, large de cinquante centimètres, évidée dans la partie inférieure du boulet. Un verre, épais de quinze centimètres et renforcé d'une armature de cuivre, la fermait. Au-dessous s'appliquait une plaque d'aluminium retenue par des boulons. Les écrous dévissés, les boulons largués, la plaque se rabattit, et la communication visuelle fut établie entre l'intérieur et l'extérieur.
Michel Ardan s'était agenouillé sur la vitre. Elle était sombre, comme opaque.
?Eh bien, s'écria-t-il, et la Terre?
--La Terre, dit Barbicane, la voilà.
--Quoi! fit Ardan, ce mince filet, ce croissant argenté?
--Sans doute, Michel. Dans quatre jours, lorsque la Lune sera pleine, au moment même où nous l'atteindrons, la Terre sera nouvelle. Elle ne nous appara?tra plus que sous la forme d'un croissant délié qui ne tardera pas
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 70
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.