Auguste Comte et Herbert Spencer | Page 9

E. de Roberty
forment
l'objet propre [p.42] de la logique pure, comme un cas particulier de la
grande loi d'évolution. Rien n'est plus vrai si l'on fait du vocable
«évolution» le synonyme d'expérience et si, par suite, les deux faces du
processus évolutif, la différenciation et l'intégration, s'envisagent
comme l'équivalent des deux seuls modes par lesquels l'esprit saisit
tantôt la multiplicité des choses, et tantôt leur unité.
Nous avons lieu d'être satisfaits en voyant nos idées se répandre peu à
peu non seulement dans les milieux philosophiques, mais aussi parmi
les savants spéciaux. Précieux par-dessus tout nous semble l'appui prêté
à certaines de nos thèses par la science mathématique, base solide qui
soutient l'édifice entier du savoir exact. La loi de l'identité des
contraires se révélant telle que le fond intime de vérité contenu dans la
célèbre doctrine de la relativité du savoir, quelle fortune pour l'idée
pure d'expérience et, par suite, pour l'idée pure d'évolution![9]
[p.43] Le principe d'universelle relativité s'offre ainsi comme l'aspect

psychologique du principe d'universelle unité. L'évolutionnisme
conduit fatalement au monisme. Mais sur cette route hérissée
d'obstacles que notre lassitude ou notre paresse mentale déclare
insurmontables, combien de préjugés ne devrons-nous pas perdre,
combien d'illusions ne devrons-nous pas rectifier! L'acte de
connaissance étant nécessairement un acte de détermination, de
limitation[10], l'abstraction et la logique humaines demeureront
toujours un compte de l'univers tenu en partie double. Nous
appréhenderons toujours les choses ou leurs «notions», «leurs idées»,
par l'aide de deux concepts opposés. Mais ce procédé, pour naturel qu'il
se présente, n'en constitue pas moins un procédé, une méthode, un
moyen. Il ne doit pas s'imposer comme un résultat définitif, une
conclusion dernière, une fin en soi. L'agnosticisme n'a jamais voulu
[p.44] comprendre cette vérité si simple. Il a d'ailleurs le plus grand tort
de tant se réclamer du principe relativiste. Il joue imprudemment avec
la flamme qui, tôt ou tard, le consumera. Ce qu'il regarde aujourd'hui
comme sa plus forte ancre de salut sera, peut-être, demain, qui sait? le
poids destiné à l'entraîner dans l'abîme. Développée dans tous les sens,
creusée plus profondément par la psychologie, la relativité du
savoir--les nouvelles théories sur l'identité des contraires semblent déjà
le présager--pourrait fort bien porter à l'ignorance érigée en système
religieux ou philosophique le coup de grâce qu'elle attend depuis des
siècles.
NOTES:
[3] _Année philosophique_,3e année, p. 237, par M. Pillon, dans
l'article que ce néo-criticiste distingué consacré à mon livre sur
l'Agnosticisme.
[4] J. Caraguel.
[5] Au moment où je corrige les épreuves de ce volume, on m'envoie le
numéro de mars 1894 de la Revue occidentale qui publie un long article
sur mon livre: _La recherche de l'unité_.[p.18] L'organe officiel du
positivisme y fait trois déclarations intéressantes.
Par la première, les positivistes se défendent énergiquement de tomber

dans l'erreur agnostique. J'enregistre à mon actif cette victoire inespérée.
Par malheur, elle reste purement morale, car, en fait, le reniement de
Pierre ne change rien à la doctrine de son maître, ni, en définitive, à
celle de Pierre lui-même. La philosophie positive, nous assure-t-on,
tient pour inconnaissable le problème de l'existence ou de la
non-existence d'un inconnaissable. Soit. Mais j'imagine que lorsque M.
Spencer, par exemple, postule la réalité de l'inconnaissable, il affirme
en même temps son incognoscibilité. L'équivoque demeure donc
pareille dans les deux cas.
La seconde déclaration des positivistes porte sur ma loi de l'identité des
contraires. Les disciples de Comte acceptent cette loi comme une
expression nouvelle du principe de l'inconcevabilité du contraire
simultané, expression qui permet, disent-ils, de tirer du vieil axiome
logique quelques applications heureuses. La notation algébrique
adéquate au contenu de ma loi serait A + -A = 0, ce qui confirmerait
une fois de plus l'universalité logique des formules de l'algèbre.
Enfin la troisième déclaration concerne ma critique du concept de
limite. «On nous demande, dit l'auteur de l'article, M. d'Araujo, de quel
droit nous prétendons enserrer l'avenir scientifique; nous répondons: en
vertu du droit qu'a le mathématicien de garantir aux générations de
calculateurs que le numérateur et le dénominateur de l'expression
_non-moi_/moi = savoir, augmentant toujours d'une quantité égale,
jamais ils n'atteindront l'unité.» Cela est fort bien, mais encore eût-il été
à propos de nous démontrer que le rapport en question constitue
nécessairement un nombre fractionnaire. J'ai à peine besoin de faire
ressortir qu'aucun monisme rationnel, aucune doctrine enseignant
l'unité immanente des choses ne saurait se prêter à une semblable
pétition de principe.
[6] _La Recherche de l'Unité_, p. 176.
[7] _L'Ancienne et la Nouvelle Philosophie_.
[8] George Mouret, _Bévue philosophique_,1893, nos 7 et 8: _Le
problème logique de l'Infini_: I. _La relativité_.

[9] _Ibid._, n° 7, p. 58 et suiv.
[10] V. _La Recherche de l'Unité_, chapitre viii: _Le concept de limite
et la relativité du savoir_.
* * * * *
LIVRE II [p.45]
LE MONISME D' AUGUSTE COMTE
* * * * *
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 40
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.