Auguste Comte et Herbert Spencer | Page 8

E. de Roberty
l'id��e monistique. Elle accueille donc [p.37] l'unit�� du monde comme un postulat universel de la pens��e. Mais, plus t��m��raire que les philosophies rivales, elle ne recule point devant les cons��quences extr��mes de sa th��orie du savoir. Elle d��double son monisme, elle en fait deux parts in��gales: la partie transcendante, l'unit�� de l'inconnaissable, c'est-��-dire, au fond, rien moins que sa connaissance achev��e; et la partie exp��rimentale, l'unit��, forc��ment imparfaite, du connaissable.
Si Ton compare entre elles les principales directions de la pens��e contemporaine, on constate, non sans quelque surprise peut-��tre, qu'elles forment comme une gamme ascendante venant renforcer, malgr�� leur contrari��t�� manifeste, _ces trois grands th��mes_ dont s'inspira, de tout temps, la philosophie: l'agnosticisme, l'_��volutionnisme_ et le monisme. En effet, ne semble-t-il pas que, de Kant �� Spencer, la religiosit�� latente s'aggrave ou, du moins, se maintienne �� un niveau ��gal? Les chefs de file de la philosophie moderne se pr��occupent de [p.38] jeter les bases d'une religion nouvelle. Kant imagine la th��ologie du devoir, Comte celle de l'humanit�� qui reproduit, sous un aspect �� la fois plus concret et plus populaire, la foi morale de son pr��curseur; enfin Spencer fonde la religion de l'Inconnaissable. D'autre part, on ne saurait m��conna?tre les progr��s accomplis par les id��es exp��rimentales, ni l'expansion de l'id��e d'unit��, si ��troitement li��e �� celle d'��volution. Mais cet essor simultan�� d'id��es contradictoires ne s'explique-t-il pas par les soucis logiques de l'esprit, par notre besoin d'��tre cons��quents, d'aller, dans la v��rit�� comme dans l'erreur, jusqu'au bout?
Au reste, si l'on d��sire porter un jugement ��quitable sur les modifications subies, dans le cours des si��cles, par la mentalit�� philosophique, c'est aux syst��mes les plus renomm��s du pass�� qu'il faut confronter les grandes doctrines aujourd'hui en faveur aupr��s de l'opinion. On s'��tonne alors du r?le pr����minent qui, dans la conception g��n��rale du monde, [p.39] ��choit de plus en plus �� la partie active de la science, �� l'��l��ment qui sert d'une fa?on directe l'id��e d'unit��, de connaissance parfaite. Depuis Bacon et Descartes, par exemple, jusqu'�� nos jours, un chemin tr��s appr��ciable est parcouru par la m��me notion fondamentale. Sous le nom d'exp��rience, de monde sensible chez Kant, sous celui de d��veloppement n��cessaire et graduel chez Comte, sous celui d'��volution chez Spencer, elle acquiert une valeur rapidement croissante.
D'o�� vient une conqu��te si grande et si s?re que la philosophie tout enti��re semble aujourd'hui tenir dans le seul mot d'��volution? A notre sens, un tel succ��s prouve une fois de plus l'action profonde exerc��e par les id��es, les g��n��ralisations, les progr��s strictement scientifiques sur les id��es, les d��ductions, les transformations de la connaissance purement philosophique. Ce ph��nom��ne confirme la grande loi de corr��lation entre la science et la philosophie, que nous avons cherch�� �� [p.40] ��tablir dans un de nos premiers ouvrages[7].
L'histoire des id��es scientifiques nous r��v��le une longue suite d'ant��c��dences significatives, une accumulation d'exp��riences et de synth��ses se rattachant toutes �� l'id��e d'��volution, et qui toutes mettent en relief le ?devenir? par ��tapes successives, ou la diff��renciation immanente des choses et des ��tres. On se tromperait m��me beaucoup en ne citant �� l'appui de cette th��se que les noms populaires de Lamarck, de Darwin, et en y joignant quelques obscurs pr��curseurs. C'est par centaines, sinon par milliers que se doivent compter les savants dont les travaux permirent au positivisme, et ensuite �� l'��volutionnisme proprement dit, de se produire, de se r��pandre, de vaincre les obstacles, de triompher des r��sistances. Il faut remonter �� la moiti�� du xviie si��cle, et plus haut encore, si l'on veut reconna?tre et fixer les points initiaux du courant intellectuel qui renversa, les barri��res [p.41] caduques et transf��ra peu �� peu le concept d'��volution du domaine m��canique en celui des faits et des lois de la vie (constitution des deux chimies, inorganique et organique, et fondation de la biologie). D��s lors la route s'aplanissait devant les tentatives semblables d'une foule d'historiens, de psychologues, de moralistes.
On nous reproche ce qu'on appelle l'_hyperpositivisme._ On pourrait, avec la m��me justice, blamer notre ��volutionnisme moins accommodant, peut-��tre, que celui de M. Spencer ou de son ��cole aujourd'hui florissante. Un esprit math��matique fort distingu�� et dont l'adh��sion ouverte �� quelques-unes de nos th��ories les plus capitales nous valut une grande joie, a discern�� ce trait avec beaucoup de finesse[8]. Exposant et commentant nos d��ductions sur la gen��se des concepts surabstraits, il consid��re les lois rigoureuses qui forment l'objet propre [p.42] de la logique pure, comme un cas particulier de la grande loi d'��volution. Rien n'est plus vrai si l'on fait du vocable ?��volution? le synonyme d'exp��rience et si, par suite, les deux faces du processus ��volutif, la diff��renciation et l'int��gration, s'envisagent comme l'��quivalent des deux seuls modes par lesquels l'esprit saisit tant?t la multiplicit�� des choses, et tant?t leur unit��.
Nous avons lieu d'��tre satisfaits en voyant nos id��es se r��pandre peu �� peu non seulement
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