dans les milieux philosophiques, mais aussi parmi les savants spéciaux. Précieux par-dessus tout nous semble l'appui prêté à certaines de nos thèses par la science mathématique, base solide qui soutient l'édifice entier du savoir exact. La loi de l'identité des contraires se révélant telle que le fond intime de vérité contenu dans la célèbre doctrine de la relativité du savoir, quelle fortune pour l'idée pure d'expérience et, par suite, pour l'idée pure d'évolution![9]
[p.43] Le principe d'universelle relativité s'offre ainsi comme l'aspect psychologique du principe d'universelle unité. L'évolutionnisme conduit fatalement au monisme. Mais sur cette route hérissée d'obstacles que notre lassitude ou notre paresse mentale déclare insurmontables, combien de préjugés ne devrons-nous pas perdre, combien d'illusions ne devrons-nous pas rectifier! L'acte de connaissance étant nécessairement un acte de détermination, de limitation[10], l'abstraction et la logique humaines demeureront toujours un compte de l'univers tenu en partie double. Nous appréhenderons toujours les choses ou leurs ?notions?, ?leurs idées?, par l'aide de deux concepts opposés. Mais ce procédé, pour naturel qu'il se présente, n'en constitue pas moins un procédé, une méthode, un moyen. Il ne doit pas s'imposer comme un résultat définitif, une conclusion dernière, une fin en soi. L'agnosticisme n'a jamais voulu [p.44] comprendre cette vérité si simple. Il a d'ailleurs le plus grand tort de tant se réclamer du principe relativiste. Il joue imprudemment avec la flamme qui, t?t ou tard, le consumera. Ce qu'il regarde aujourd'hui comme sa plus forte ancre de salut sera, peut-être, demain, qui sait? le poids destiné à l'entra?ner dans l'ab?me. Développée dans tous les sens, creusée plus profondément par la psychologie, la relativité du savoir--les nouvelles théories sur l'identité des contraires semblent déjà le présager--pourrait fort bien porter à l'ignorance érigée en système religieux ou philosophique le coup de grace qu'elle attend depuis des siècles.
NOTES:
[3] _Année philosophique_,3e année, p. 237, par M. Pillon, dans l'article que ce néo-criticiste distingué consacré à mon livre sur l'Agnosticisme.
[4] J. Caraguel.
[5] Au moment où je corrige les épreuves de ce volume, on m'envoie le numéro de mars 1894 de la Revue occidentale qui publie un long article sur mon livre: _La recherche de l'unité_.[p.18] L'organe officiel du positivisme y fait trois déclarations intéressantes.
Par la première, les positivistes se défendent énergiquement de tomber dans l'erreur agnostique. J'enregistre à mon actif cette victoire inespérée. Par malheur, elle reste purement morale, car, en fait, le reniement de Pierre ne change rien à la doctrine de son ma?tre, ni, en définitive, à celle de Pierre lui-même. La philosophie positive, nous assure-t-on, tient pour inconnaissable le problème de l'existence ou de la non-existence d'un inconnaissable. Soit. Mais j'imagine que lorsque M. Spencer, par exemple, postule la réalité de l'inconnaissable, il affirme en même temps son incognoscibilité. L'équivoque demeure donc pareille dans les deux cas.
La seconde déclaration des positivistes porte sur ma loi de l'identité des contraires. Les disciples de Comte acceptent cette loi comme une expression nouvelle du principe de l'inconcevabilité du contraire simultané, expression qui permet, disent-ils, de tirer du vieil axiome logique quelques applications heureuses. La notation algébrique adéquate au contenu de ma loi serait A + -A = 0, ce qui confirmerait une fois de plus l'universalité logique des formules de l'algèbre.
Enfin la troisième déclaration concerne ma critique du concept de limite. ?On nous demande, dit l'auteur de l'article, M. d'Araujo, de quel droit nous prétendons enserrer l'avenir scientifique; nous répondons: en vertu du droit qu'a le mathématicien de garantir aux générations de calculateurs que le numérateur et le dénominateur de l'expression _non-moi_/moi = savoir, augmentant toujours d'une quantité égale, jamais ils n'atteindront l'unité.? Cela est fort bien, mais encore e?t-il été à propos de nous démontrer que le rapport en question constitue nécessairement un nombre fractionnaire. J'ai à peine besoin de faire ressortir qu'aucun monisme rationnel, aucune doctrine enseignant l'unité immanente des choses ne saurait se prêter à une semblable pétition de principe.
[6] _La Recherche de l'Unité_, p. 176.
[7] _L'Ancienne et la Nouvelle Philosophie_.
[8] George Mouret, _Bévue philosophique_,1893, nos 7 et 8: _Le problème logique de l'Infini_: I. _La relativité_.
[9] _Ibid._, n° 7, p. 58 et suiv.
[10] V. _La Recherche de l'Unité_, chapitre viii: _Le concept de limite et la relativité du savoir_.
* * * * *
LIVRE II [p.45]
LE MONISME D' AUGUSTE COMTE
* * * * *
I
Les opinions de Comte sur les plus graves sujets s'entre-choquent souvent au point de dérouter la critique. On a dit qu'on doit juger un penseur sur l'ensemble de sa doctrine. Mais, appliqué à Comte, un tel critérium se montre insuffisant. Ce philosophe est tout l'opposé d'un sceptique. Aussi, lorsqu'il touche au problème central et si délicat de l'unité, nous donne-t-il le spectacle, non pas de l'hésitation qui parfois [p.46] captive et attire, mais de la contradiction qui toujours blesse et rebute.
Comme Descartes, comme Kant, comme tant d'autres grands philosophes, il est moniste et pluraliste (ou

Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.