un grand fond de m��lancolie -- ce spleen rongeur dont toute notre g��n��ration a souffert -- il pr��tendait ne concevoir l'existence que comme une farce infiniment drolatique. Aussi, lorsqu'une sottise lui paraissait amusante �� commettre, il n'y allait pas -- il y courait. Avec cela, tr��s curieux d'occultisme et tr��s port��, sous un scepticisme de surface, �� s'engager dans les halliers du surnaturel, pourvu qu'il y trouvat quelques ��glantines �� cueillir.
H��las, �� quelle mort affreuse le conduisit ce penchant!
Dubus m��ditait alors d'��crire un drame en vers qui aurait eu pour principal personnage Apollonius de Tyane, le thaumaturge pythagoricien dont les prestiges ��quivoques suscitaient l'admiration des pa?ens au premier si��cle de notre ��re.
Il en parla au docteur E... qui, saisissant l'occasion, lui proposa de l'aboucher avec Stanislas de Guaita. Celui-ci d��tenait, disait-il, des documents dont Dubus pourrait tirer le plus grand parti. Cette invite fut accueillie avec empressement par le po��te.
Le lendemain du jour o�� la premi��re entrevue avait eu lieu, Dubus vint chez moi. Nous ��tions fort li��s et nous passions rarement quarante-huit heures sans nous voir. J'��tais au courant. Je savais que de Guaita ��tait tenu pour un ma?tre de l'occultisme, mais je ne le connaissais que par deux de ses livres: Rosa mystica, titre sacril��ge, ��tant donn�� ce que contenait ce recueil de vers, et Au seuil du Myst��re, introduction �� l'histoire de la magie noire.
Lorsque Dubus p��n��tra dans le petit appartement de la place de la Sorbonne que j'occupais �� cette ��poque, je fus surpris et presque effray�� en constatant �� quel point les traits de son visage ��taient alt��r��s. D'habitude, il avait le teint assez pale. Mais, cette fois, il ��tait plus que pale: il ��tait livide. Un ��clat fi��vreux vitrifiait ses prunelles que me parurent ��largies. Son regard, d'ordinaire si franc, fuyait le mien; il errait ?�� et l�� sur les objets sans s'y poser.
En proie �� une agitation singuli��re, le po��te allait et venait �� travers la chambre, se laissait tomber sur le divan pour se relever aussit?t, se figeait soudain dans une attitude de stupeur pour reprendre, trois secondes apr��s, sa d��ambulation saccad��e. Ses mains se crispaient au dossier des chaises, puis se portaient �� son front et le balayaient comme pour chasser une pens��e importune.
-- Assieds-toi donc pour de bon, lui dis-je, et tiens-toi tranquille. Je ne t'ai jamais vu aussi ��nerv��. Tu as une mine de d��terr��; est-ce que le fameux Guaita t'aurait fait boire?
Je n'en croyais rien, car Dubus ��tait tr��s sobre, mais il me semblait si ��trange, ce matin-l��!
-- Non, non, me r��pondit-il, je n'ai pas bu: tu sais bien que je ne bois jamais... Seulement de Guaita m'a fait une telle impression que je ne m'en puis remettre... Nous avons caus�� toute la nuit; c'est un homme extraordinaire.
-- Tant que cela? Mais enfin que t'a-t-il racont��? A-t-il ��voqu�� devant toi l'ombre d'Apollonius afin que ce doux sorcier te documentat lui-m��me?
-- Ne plaisante pas. Ce fut tr��s s��rieux, cet entretien. Guaita m'a ouvert des horizons superbes.
Et, les yeux fixes, le torse tout �� coup raidi, l'index dard�� vers le plafond, il ajouta d'une voix rauque, qui n'��tait plus la sienne:
-- Guaita m'a procur�� le moyen de devenir un dieu!
Je tressaillis. Dans toute autre circonstance, j'aurais peut-��tre ri de cette phrase extravagante. Mais il y avait quelque chose de si anormal chez Dubus, une telle expression d'orgueil triomphant se marquait dans toute sa physionomie, que je ne me sentis nullement enclin �� le railler.
Et puis, dans nos r��unions de jeunes ��crivains affol��s par le m��galomane Nietzsche, qui nous invitait �� nous hausser jusqu'au surhomme, nous nous ��tions si souvent ��cri��s avec Musset: Qui de nous, qui de nous va devenir un dieu? Tant de fois le d��mon de la gloire nous avait chuchot��, aux heures o�� l'on croit si fort en soi-m��me qu'il semble qu'on va se heurter la t��te aux ��toiles: Eritis sicut dei!...
Loin donc de m'��gayer, je repris tout mon s��rieux et je pressai Dubus de s'expliquer davantage.
Guaita, me dit-il, m'a d'abord invit�� �� lui exposer les raisons de ma pr��dilection pour Apollonius. Quand je lui eus confi�� �� quel point le surnaturel m'attirait, quand je lui eus r��v��l�� mon ambition de cr��er, d'apr��s ce ma?tre des myst��res, une figure qui dominerait notre temps, il m'a d'abord r��pondu, sans avoir l'air d'y tenir, qu'il pourrait peut-��tre me venir en aide. Puis il a gard�� le silence pendant plusieurs minutes. Moi, j'ai repris la parole, et tandis qu'il me fixait d'un regard aigu qui me traversait la t��te, je me suis ��panch�� en un flot d'aper?us touchant la composition de mon drame. Tu me croira si tu veux: �� mesure que je parlais, des sc��nes dont je n'avais eu aucune id��e jusque l�� naissaient en moi et je les d��crivais aussit?t. Des vers impr��vus me jaillissaient de la bouche.
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