Au pays des lys noirs | Page 4

Adolphe Retté
peut parfaitement traduire par cachette. D��s lors, ses pr��ceptes, captieux en leur obscurit��, infest��rent, �� la faveur de maintes ��quivoques, les intelligences et les sensibilit��s. Car, comme le dit la scolastique: Obscuritate rerum verba saepe obscurantur.
L'autre livre, ce fut celui d'Huysmans: L��-bas. Il ne s'agissait plus ici d'un reportage plus ou moins sceptique et r��dig�� avec le souci de ne froisser personne. L'ineptie orgueilleuse du mat��rialisme ��tait nettement d��nonc��e. Au point de vue de l'histoire comme au point de vue de l'exp��rience personnelle, le Surnaturel d��moniaque ��tait affirm��, d��fini, ��tudi�� avec minutie, d��crit en ses manifestations contemporaines. On avait sous les yeux la relation v��ridique d'un voyage au pays du mal��fice et du sacril��ge. Un style apre, brutal, impr��gn�� de couleurs violentes, ��vocatoire au possible en son incorrection, donnait un intense relief aux d��couvertes de l'explorateur.
Le retentissement fut ��norme. Mais, r��sultat qu'on aurait pu pr��voir, les snobs de l'occultisme comme les chercheurs de sensations extr��mes n'y trouv��rent qu'un motif de s'affriander aux messes noires et aux ordures du succubat. Huysmans, il est vrai, opposait, d'une plume d��j�� presque catholique, les blanches splendeurs de la Passion aux flamboiements fuligineux des tumultes diaboliques. Peut-��tre aussi avait-il cru mettre en garde contre les p��rils encourus par ceux qui tenteraient d'aussi sombres exp��riences. Quoi qu'il en soit, son livre ne fit gu��re qu'accro?tre la vogue de l'occultisme.
Je me trompe, car je sais au moins une conversion d��termin��e par la lecture de L��-bas. Le converti me disait il y a trois ans: ?Huysmans me fit croire �� l'existence du D��mon. J'en conclus: si celui-l�� existe, l'Autre doit exister ��galement. Je priai -- et, par un d��tour fort impr��vu, la Grace me toucha?.
De fait, c'est aujourd'hui un excellent catholique.
* * * * *
Voici maintenant de quelle fa?on je fus, moi-m��me, port�� �� exp��rimenter les ivresses troubles et les dangers de l'occultisme. Par nature, je n'y ��tais gu��re enclin. Je ne fus tout d'abord pas de ceux qui r��p��taient passionn��ment les vers de Baudelaire:
Nous nous embarquerons sur la mer des t��n��bres Avec le coeur joyeux d'un jeune passager; Entendez-vous ces voix charmantes et fun��bres Qui chantent: -- par ici, vous qui voulez manger
Le lotus parfum��, c'est ici qu'on vendange Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim, Venez vous enivrer de la douceur ��trange De cette fin d'apr��s-midi qui n'aura pas de fin...
Mais d��nu�� de toute ��ducation religieuse, attir��, comme la plus grande partie de ma g��n��ration, par ce qui avait couleur de myst��re et d'impr��vu, quand l'occultisme envahit la litt��rature, je fus entra?n�� apr��s bien d'autres.
Lorsque, par suite de circonstances providentielles, je me ressaisis, le mal ��tait fait. Et c'est pourquoi, certes, durant des ann��es, je m'acharnai �� miner, avec une morne fureur, le roc in��branlable sur lequel Dieu a bati son ��glise.
Nous avions fond�� diverses revues: l'Ermitage, la Plume, Le Mercure de France o�� les plus militants de la jeunesse litt��raire ferraillaient pour le triomphe de l'esth��tique symboliste. Beaucoup sont morts de ces chevaucheurs de chim��res. D'autres ont d��sarm�� de bonne heure et sont devenus ��piciers ou magistrats. Deux adopt��rent la profession d'acad��micien: l'un, tel qu'en songe, s'assit au bout du pont des Arts; l'autre, r��cemment d��funt, installa ses sourires pinc��s chez M. de Goncourt. Certains tourn��rent mal. Celui-l��, par exemple, qui, se reconnaissant fils de Lilith et de P��cuchet, s'abreuve d'un horrible m��lange de Quinton et de Nietzsche, brode d'antichristianisme b��ta des pornographies gourm��es et publie, deux fois par mois, les Lettres d'un Satyre.
La Plume r��unissait, chaque samedi, dans le sous-sol d'un caf�� de la rive gauche, bon nombre de ces po��tes. Le local consistait en une cave assez exigu? o�� l'on s'entassait parfois deux cents. L��, se succ��daient, sur une estrade flanqu��e d'un piano fourbu, toutes sortes de personnages plus ou moins notoires, plus ou moins talentueux. Des compagnons anarchistes pr��conisaient, en des couplets �� la dynamite, le chambardement universel. Des n��ophytes du lyrisme psalmodiaient, en chevrotant d'��motion, leurs premiers vers. Des chansonniers, descendus de Montmartre, accommodaient le r��gime �� la vinaigrette. Il y avait des mystiques maigriots qui se disaient fils des anges et portaient leur petit chapeau rond comme une aur��ole. Il y avait des n��o-pa?ens qui invoquaient les Muses et ne juraient que par Dzeus et Aphrodite. L'un est devenu commissaire de police; les autres sont morts ou tout comme. Il y avait de griffonnants Am��ricains ou Flamands blondasses venus de Bruges-la-Morte ou de Chicago-les-cochons dans le but impr��vu de r��former la prosodie fran?aise.
Il y avait... Que n'y avait-il pas?
Ce souterrain, embrum�� par les vapeurs bleues essouffl��es des pipes et des cigarettes, c'��tait une cuve o�� bouillonnaient les ��l��ments les plus disparates: de la jeunesse exub��rante, et plus na?ve qu'on n'aurait pu le croire �� entendre le ton des conversations; du snobisme ��moustill�� par toute extravagance nouvelle; de l'esprit de r��volte contre les pr��jug��s, contre les conventions sociales, contre les
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