que tu es content de nous revenir!...
--Oh! ma mère! que c'est bon, te regarder, te parler! Comment ai-je pu rester si longtemps loin de ton visage, loin de ta voix, loin de ton amour, loin de vous tous?
Pendant tout ce temps, Jeanne dévorait de ses prunelles encore humides le frère que la magie des pays lointains auréolait. La force intellectuelle émanait de la tête mince que couronnaient de longs cheveux bruns. Il avait presque la taille du père, il en avait les yeux noirs, mais plus doux, plus souvent remplis d'éclairs. La moustache très sobre donnait du relief aux lèvres nerveuses. La pratique des sports lui valait la souplesse du corps bien charpenté. Son front, un peu étroit, s'imposait par le rayonnement de la pensée toujours à la besogne: une énergie presque tyrannique animait le visage plut?t intéressant que régulier. Le voyage avait m?ri ces traits virils. Jeanne, en présence de ce qu'elle croyait un autre Jules, n'intervenait pas dans les effusions de la mère et de son fila.
--Tu es bien sage, mon petit Jean! lui d?t son frère qui s'en étonna. Que tu es jolie!... Tu as bien fait de ne pas grandir!... Ce ne serait plus toi, si tu étais plus grande!...
--Tu dis ?a, mais je ne sais pas si tu le penses encore, reprit Jeanne, presque timide. Il y a quelque chose qui t'enveloppe, et cela m'effarouche... Je trouve cela étrange de te dire "toi"... Il me semble que tu n'es plus le même... Je dois te para?tre bien simple, bien ordinaire... Tu as vu de si belles choses!...
--Mais! tu n'as pas ta pareille, petite soeur!...
--Bien vrai, toujours!...
--Plus que jamais! lui dit-il.
--Tu ne le croiras peut-être pas? reprit-elle, déjà rassurée. Eh bien! très-souvent, tu m'aurais surprise à jongler, si tu avais pu me voir à travers l'espace... C'était comme si la joie e?t été morte eu moi, à certains jours... Je riais pour ton père, pour ta mère... Je sentais qu'ils avaient besoin de ma ga?té... Je faisais mon devoir, mais quelque chose au fond de moi saignait. J'ai couvert de baisers l'image que j'ai de toi dans ma chambre: elle en aurait re?u bien davantage, si je n'avais eu peur de l'effacer!...
--Chère petite soeur, si la chose est possible, je t'aimerai deux fois pour ta souffrance!... Et tu ne me l'écrivais pas!... Je n'oublierai jamais combien ton ame fut généreuse!... Je te demande pardon d'un caprice qui te fut si cruel...
--Je ne regrette pas ma peine, si elle me vaut deux fois ton amour!...
--Tu es toujours la même petite fée gentille!... Bien souvent, Jeanne, j'aurais voulu t'avoir près de moi: il est, là-bas, tant de choses qui auraient fait briller dans tes yeux la flamme que j'y adore!...
--Dis que tu me les raconteras, et nous aurons l'illusion de les voir ensemble!... Quel beau voyage nous allons faire!... Je te promets que mes yeux flamberont!... fit-elle, coquette.
--Combien de fois nous avons tremblé pour toi! dit Madame Hébert, qui n'avait pas importuné ses deux enfants dans la reprise de leur tendresse. Dans ce gouffre de Paris, nous voyions, sans cesse, des apaches à tes talons... Lorsque tu te rendis à Naples, le couteau des bandits nous donna le cauchemar... Lorsque tu vins à Londres, nous nous figurions qu'on t'assommait sur le White Chapel Road... Tu es si imprudent avec ta fa?on de n'avoir peur de rien!...
--Je n'allai pas me jeter dans leurs bras! dit-il. Il y avait beaucoup plus intéressant qu'eux, je vous l'assure...
--Nous voulons savoir ce qu'il y avait de si intéressant, interrompit Augustin, qui venait les rejoindre et parut, aux deux femmes, rajeuni de plusieurs années.
--Et mes lettres, mon père?...
--Tu peux t'en glorifier! reprocha gentiment la mère. Il me fallait les relire plusieurs fois pour avoir l'illusion d'une longue lettre!...
--Et tes cartes postales, où il n'y avait guère que ta signature, tu peux en être également fier! railla Jeanne.
--Il y avait, tout de même, place pour les mille baisers que je leur connais, mon petit Jean!...
--Coquin, va!...
--Et tes aventures? Nous n'en saurons jamais rien, si vous vous querellez éternellement! dit le père. Allons! fais-nous le récit alléchant de tes idylles d'amour sur les lacs divins de la Suisse... Entr'ouvre, à nos yeux épouvantés, les précipices béants où ton regard plongeait du haut des cimes alpestres... évoque les foules grouillantes qui se jouaient de ta chétive personne comme le vent de la paille... Parle-nous des musées où les heures filaient comme des rêves, des théatres où les virtuoses de la rampe ébranlèrent tout ce que tu avais d'ame et de nerfs!...
--Je le voudrais bien, mon père, mais, en ce moment, tout mon voyage se résume en un seul bonheur, celui de vous revoir tous. La vision des mois que je viens de vivre est confuse, et je ne vois plus que vos chers visages, je n'entends plus
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