Armand Durand | Page 6

Madame Leprohon
le temps qui le s��pare de l'��poque fix��e pour l'ex��cution de sa sentence. Son incertitude ne fut pas de longue dur��e, car trois jours apr��s sa lettre, madame Chartrand arriva. Malgr�� son deuil tout r��cent qu'elle sentait en r��alit�� tr��s-profond��ment, malgr�� sa sant�� quelque peu d��labr��e, cette derni��re fut alarm��e, presque terrifi��e, en voyant l'��tat de chose qui se faisait remarquer dans la maison de son fr��re. De vagues rumeurs sur l'inhabilit�� de sa belle-soeur ��taient bien parvenues jusque'�� ses oreilles, mais enti��rement occup��e par son mari qui avait ��t�� confin�� dans sa chambre pendant trois ou quatre mois avant sa mort, elle y avait �� peine pr��t�� attention. Elles es pr��sent��rent alors devant elle dans toute leur affreuse r��alit��, et peut-��tre n'aurait-elle pu trouver de plus grande distraction �� son l��gitime chagrin que le nouveau champ de regrets qui s'ouvrit devant elle.
--Comment, se disait-elle int��rieurement, comment puis-je trouver le temps de pleurer Louis quand je vois sur la table de mon fr��re du pain aussi m��chant et du beurre immangeable? Comment puis-je m'absorber �� d��plorer mon veuvage quand je vois ces mis��rables servantes de mon fr��re s'amuser avec leurs cavaliers pendant que le d?ner br?le sur le po?le et que la cr��me se perd dans la laiterie? Ah! c'est d��solant!
C'��tait en effet bien distrayant, car madame Chartrand n'avait pas ��t�� huit jours dans la maison, qu'elle avait oubli�� ses peines et son deuil, dans l'��tonnement profond o�� l'avait jet��e un examen plus attentif des gaspillages et de la mauvaise administration du m��nage. Elle n'eut pour Genevi��ve d'autre sentiment que celui d'une piti�� d��daigneuse, et un vif regret que Paul e?t commis une aussi grave erreur dans le choix d'une ��pouse. Cette femme robuste et active, habitu��e d��s le berceau au m��nage, ne pouvait comprendre la langueur maladive et le d��couragement auxquels sa d��licate et nerveuse belle-soeur ��tait si souvent en proie, et plus d'une fois elle l'accusa int��rieurement d'affectation.
Les choses ne pouvaient pas rester longtemps dans ce ��tat sans fournir �� quelqu'un l'occasion de se d��charger le coeur, et un dimanche apr��s-midi qu'elle avait sous un pr��texte quelconque refus�� d'accompagner Genevi��ve aux v��pres, madame Chartrand entra dans la chambre o�� Paul fumait sa pipe dans une calme solitude. Celui-ci ne se m��prit pas sur la d��termination qui se lisait dans les yeux aussi bien que dans la solennit�� des allures de sa soeur, et il se pr��para �� une sc��ne; mais comme un habile tacticien, il attendit l'attaque en silence.
--Paul, s'��cria-t-elle brusquement, d��poses l�� ta pipe et ��coutes-moi. Je vaux avoir un entretien avec toi.
--Un entretien! et sur quel sujet? r��pondit-il d'un ton bref.
--Sur quel sujet! dis-tu. Peut-il y en avoir d'autre que la mani��re d��plorable dont est conduit ton m��nage?
--Je crois que c'est une affaire qui ne regarde que Genevi��ve et moi, r��pondit-il s��chement en reprenant sa pipe qu'il avait momentan��ment d��pos��e sur la table.
--Ceci est une r��ponse digne tout au plus d'��tre faite �� un ��tranger, mais ce n'est pas celle que tu devrais faire �� ta soeur a?n��e et unique qui, en te parlant ainsi, n'est mue que par un affectueux int��r��t pour toi. Accordes-moi un peu de patiente attention, je ne t'en demanderai pas davantage. Laisse-moi te dire maintenant sans r��serve tout ce que j'ai sur le coeur, et puis si tu le d��sires, je garderai ensuite le silence.
Pensant qu'il y avait quelque v��rit�� dans ce que sa soeur lui disait, Durand inclina la t��te, et elle reprit:
--Du temps de notre pauvre m��re, bien que tu n'eusses pas plus de vaches dans tes paturages qu'il y en a maintenant, et peut-��tre moins puisque tu as ajout�� trois belles g��nisses �� ton troupeau, il y avait toujours rang��s dans ta cave plusieurs quartauts de bon beurre bien fait, attendant que les prix fussent satisfaisants pour ��tre transport��s au march��; toujours il y avait sur tes tablettes des rang��es de fromages et des paniers d'oeufs. Et aujourd'hui? il n'y a rien �� vendre pour le pr��sent et rien pour plus tard. Dans un coin de la laiterie malpropre un quartaut d'une certaine substance rance que nous devons appeler beurre parce qu'elle ne r��pondrait �� aucun autre nom, une douzaine d'oeufs peut-��tre sur une assiette f��l��e, et un peu de cr��pe moisie: voil�� toute ta richesse de laitage. L'��tat des choses est-il meilleur dans la basse-cour? Quand je songe aux nombreuses couv��es de grasses volailles, de dindes et d'oies qui la peuplaient jadis, mon coeur souffre en n'y voyant maintenant qu'une couple d'oisons et de dindes solitaires, ainsi que les quelques ch��tifs bantams aussi sauvages que des b��casses qui prennent leur nourriture o�� ils peuvent, car la plupart du temps on oublie de leur en donner, bien que les restes de repas qui sont perdus suffiraient amplement pour faire d'eux des volailles de prix... Qu'as-tu �� r��pondre ��
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