les feuilles du livre qu'elle tenait encore entre ses mains et sur lequel ses yeux étaient restés attachés; puis il se dit à lui-même:
--Comment! une telle jeune fille incapable de se marier faute de dot! Ah! madame Lubois, nous verrons bien.
Avec la courtoisie et l'aisance de manières que possède généralement le cultivateur Canadien, quelque pauvre et illettré qu'il soit, il s'assit à ses c?tés sur le banc du jardin.
Et maintenant, si le lecteur a anticipé ou redouté une scène d'amour, nous nous hatons de l'assurer qu'il a eu tort, et nous nous contenterons de dire que lorsque Paul Durand et Geneviève revinrent lentement à la maison, une demi-heure après, ils étaient fiancés. La vive rougeur répandue sur le visage de la jeune fille et l'éclat de ses yeux disaient son bonheur et son émotion; dans l'attitude de Paul, il y avait un mélange de triomphe honnête tempéré par une tendresse qui donnait les augures les plus favorables pour leur bonheur futur.
C'étaient cependant des amoureux très-calmes très-peu démonstratifs, si bien que lorsque M. de Courval les rejoignit soudainement, il ne lui vint pas à l'idée le plu léger soup?on de l'état réel des choses; remarquant seulement que Geneviève paraissait plus joyeuse que d'ordinaire, il invita instamment Durand à l'accompagner à la maison. Celui-ci accepta l'invitation, et Geneviève, devenue tout-à-coup inquiète au sujet de ses élèves, retourna au berceau d'où partaient leurs voix, élevées en ce moment au diapason d'une vive dispute.
Assis dans l'étude de M. de Courval, Durand, sans employer de circonlocutions, informa son h?te, qui en fut enchanté, de ce qui venait d'avoir lieu, le priant en même temps de remplir le devoir d'écrire à madame Lubois pour la mettre au courant de la situation.
--Veuillez lui demander, ajouta-t-il en terminant, de permettre que le mariage ait lieu le plus t?t possible, et surtout n'oubliez pas de lui dire que je ne veux pas de dot.
M. de Courval fit ce qu'on lui demandait. Une froide réponse ne tarda pas à arriver: madame Lubois se contentait de dire ?que Geneviève était bien libre de faire comme bon lui semblait, mais que le parti qu'elle prenait n'étant pas remarquablement brillant il n'y avait pas lieu d'y mettre une précipitation immodérée.?
Les intéressés, surtout Durand, furent d'un avis contraire, et deux semaines après, de bonne heure le matin, l'heureux couple fut marié dans l'église du village. M. de Courval servait de père à la mariée, M. Lubois s'étant convaincu qu'il lui était impossible d'aller à Alonville pour la circonstance. Le déjeuner donné par l'excellent seigneur fut somptueux, quoiqu'il n'y eut que peu de monde pour le partager; et au moment du départ, donnant une chaleureuse poignée de main à Durand:
--N'est-ce pas, lui dit-il, qu'après tout nous nous sommes bien passés de nos nobles cousins!
Il est probable que c'était la crainte de voir cette parenté réclamée par les nouveaux mariés qui avait déterminé l'injustifiable indifférence dont les Lubois avaient fait preuve. ?Nous n'irons pas, s'étaient-ils dit avec aigreur, nous exposer aux incursions de ces campagnards. M. de Courval peut faire toutes les politesses qu'il lui plaira au fermier Durand, parce qu'il demeure dans une campagne où la société n'est pas seulement limitée, mais encore très peu choisie; quant à nous, nous ne pouvons pas songer à admettre dans notre salon aristocratique un paysan aux bottes ferrées et aux rustiques manières.?
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II
Une assez vive jalousie avait éclaté à Alonville à cause de la manière prompte et inattendue dont le meilleur parti de la paroisse avait été pour ainsi dire enlevé par une étrangère, et les langues des mères aussi bien que celles des jeunes filles étaient également actives et sans miséricorde à dénoncer ce mariage.
--Qu'a-t-il vu dans cette créature au visage de poupée, sans vie et sans gaieté, qui l'ait séduit à ce point? Qu'est-ce qui a pu l'induire à prendre en mariage une étrangère, quand il y avait dans son village tant de jeunes et jolies filles qu'il connaissait depuis la plus tendre enfance? Elle a de très petits pieds et des mains très-mignonnes, c'est vrai; mais tout cela est-il bon à quelque chose? Ces mains peuvent-elles boulanger, filer, traire ou faire quoi que ce soit d'utile? Ah! bien, la rétribution ne manquera pas d'arriver, et Paul Durand pleurera sous le sac et la cendre les jolies filles qu'il a laissées de c?té pour ce petit poupon!
Mais toutes ces récriminations et ces prophéties lugubres ne troublaient en rien la sérénité de ceux qui en étaient l'objet. étaient-elles sans fondement? Hélas! pas tout-à-fait, comme on va le voir. La nouvelle mariée avait peu, sinon aucune connaissance sur la tenue d'un ménage, et c'est ce qu'il y avait de plus malheureux, car la vieille femme qui avait conduit assez habilement la maison de Durand depuis la mort de sa mère avait brusquement demandé son congé en apprenant les prochaines
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