distinction qui n'est
pas toujours facile à faire.
Qu'il fût un égoïste ou un sage, le marquis de Miraval avait pour sa nièce, la comtesse de
Penneville, une sincère affection, et il se fit un devoir de répondre à sa lettre presque
courrier par courrier; il ne faut pas faire attendre les hépatiques. Sa réponse était ainsi
conçue:
«Ma chère Mathilde, je regrette infiniment qu'on te dérange dans ta cure en te donnant
des désagréments et des soucis; c'est la pire des maladies, quoiqu'on n'en meure pas. Mais
de quoi donc s'agit-il et de quoi se mêle Mme Corneuil? que peut-il y avoir entre cette
femme que tu ne connais pas et la comtesse de Penneville? Je demande un prompt
éclaircissement. En attendant, puisque tu le désires, je vais t'expliquer de mon mieux qui
est Mme Corneuil, qu'au demeurant je n'ai jamais vue; mais je connais à la rigueur des
gens qui la connaissent.
«Se peut-il bien, ma chère Mathilde, que jusqu'à ce jour tu n'aies pas entendu parler de
Mme Corneuil? J'en suis fâché; cela prouve que tu es une femme sans littérature, une
femme qui ne lit rien, pas même la Gazette des tribunaux. Ne va pas t'imaginer là-dessus
que Mme Corneuil soit une recéleuse ou une empoisonneuse, ni qu'elle ait jamais
comparu en cour d'assises; mais, il y a de cela sept ou huit ans, elle s'est séparée de M.
Corneuil. Cette affaire fit quelque bruit; voici l'histoire, autant qu'il m'en souvient:
«M. Corneuil était jadis consul général de France à Alexandrie. Il passait pour un bon
agent, à qui l'on reprochait seulement d'avoir l'humeur un peu brusque. C'est un péché
véniel. Dans le pays du courbache, il faut savoir dans l'occasion brusquer les hommes et
les choses. Quand un Oriental n'est pas de votre avis et qu'il vous demande trop cher pour
en changer, le seul moyen de le convaincre est de l'étrangler; mais ceci n'est pas de mon
sujet. Un hasard heureux pour les uns, malheureux pour les autres, fit débarquer sur les
quais d'Alexandrie un certain M. Véretz, petit agent d'affaires, qui en avait fait de
mauvaises à Paris et qui, échappant à ses créanciers, arrivait à toutes jambes pour tenter
la fortune sur la terre des Pharaons, homme de peu, paraît-il, d'une moralité douteuse,
d'une réputation plus qu'équivoque. M. Véretz avait une fille de dix-huit ans, jolie à ravir.
Où et comment M. Corneuil fit sa connaissance, la chronique n'en dit rien; elle nous
apprend seulement que ce bourru avait le coeur prenable et ne savait rien refuser à son
imagination. Dès sa première rencontre avec cette belle enfant, il en devint éperdument
amoureux. On prétend qu'il essaya de s'en passer la fantaisie, sans épouser; il croyait
avoir affaire à une de ces innocences très dégourdies qui entendent facilement raison. Il
se trompait bien; il s'était adressé à un dragon de vertu. Il offrit tout et fut repoussé avec
perte et indignation. S'il n'avait tenu qu'à M. Véretz, on serait bien vite tombé d'accord.
Heureusement pour Mlle Hortense Véretz, elle avait une mère qui était une femme habile,
ce qui est une grande bénédiction pour une fille. Après quelques semaines de poursuites
inutiles, M. Corneuil se résolut enfin à franchir le pas. Ce consul général, qui avait de la
fortune, prit son parti d'épouser pour ses beaux yeux une fille qui n'avait rien et dont le
père était un homme taré; encore l'épousa-t-il sans contrat, en communauté de biens. Cela
fit esclandre; on lui reprocha son beau-père, on clabauda contre lui. Il en fut réduit à
donner sa démission, et il quitta l'Égypte pour retourner à Périgueux, sa ville natale, à
quoi sa jeune et jolie femme l'encouragea, car il lui tardait de s'éloigner à jamais d'un père
compromettant et d'aller jouir en France de sa nouvelle fortune. Je me souviens que
j'appris cette histoire au ministère des affaires étrangères, où l'on s'en occupa pendant huit
jours, et puis on parla d'autre chose. Mais l'ex-consul n'était pas au bout de ses peines.
Quatre ans plus tard, Mme Corneuil plaidait en séparation. Sa mère l'avait accompagnée à
Périgueux; quand on a le bonheur d'avoir une mère habile, il ne faut jamais la quitter: on
ne saurait mieux faire que de se gouverner toujours par ses conseils.
«Pourquoi Mme Corneuil s'est-elle séparée de son mari? Il faut entendre là-dessus les
avocats. Ils furent admirables l'un et l'autre, déployèrent toutes les ressources de leur
faconde. Ces deux plaidoyers, où l'épigramme alternait avec l'apostrophe et l'apostrophe
avec l'invective, furent des morceaux de haut goût, dont se reput la malignité publique.
Le détail m'échappe, et je n'ai pas sous la main la Gazette des tribunaux; mais il n'importe,
je suis sûr de mon fait. Maître Papin, avocat de la demanderesse, l'un des princes du
barreau, venu de Paris à
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