Amours fragiles
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Title: Amours fragiles Le roi Apépi--Le bel Edwards--Les inconséquences de M.
Drommel
Author: Victor Cherbuliez
Release Date: February 12, 2006 [EBook #17758]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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VICTOR CHERBULIEZ
de l'Académie française.
AMOURS FRAGILES
LE ROI APÉPI. LE BEL EDWARDS. LES INCONSÉQUENCES DE M. DROMMEL
CINQUIÈME ÉDITION
PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1906
LE ROI APÉPI
I
Un soir, en sortant de son cercle, où il avait dîné, le marquis de Miraval trouva chez lui
une lettre de sa nièce, Mme de Penneville, qui lui écrivait de Vichy:
«Mon cher oncle, les eaux m'ont fait du bien; j'avais tout lieu jusqu'aujourd'hui d'être
satisfaite de ma cure; mais le bon effet que j'en attendais sera compromis, je le crains, par
une fâcheuse nouvelle que je reçois à l'instant et qui me cause plus de trouble, plus de
tracas que je ne puis vous le dire. Les médecins déclarent que le premier devoir des
personnes qui souffrent d'une hépatite chronique est de ne point se faire de soucis; je ne
m'en fais pas, mais on m'en donne. Je me ronge l'esprit en pensant à une certaine Mme
Corneuil, c'est bien ainsi qu'on la nomme. Je n'avais jamais entendu parler de cette
femme, et je la déteste sans la connaître. Vous avez toujours été fort curieux et fort
répandu. Mon cher oncle, je suis sûre que vous êtes au fait; apprenez-moi bien vite qui est
Mme Corneuil. Cela m'importe beaucoup; je vous expliquerai pourquoi.»
Le marquis de Miraval était un ancien diplomate, qui avait commencé sa carrière sous le
règne de Louis-Philippe et qui sous l'Empire avait rempli avec honneur plusieurs postes
secondaires, dont s'était contentée son ambition. Quand la révolution du 4 septembre l'eut
mis à la retraite, il prit son parti en philosophe. Il ne souffrait pas comme sa nièce d'une
hépatite chronique; son foie et sa bile ne l'incommodaient point. Il avait de la santé, un
estomac de fer, bon pied, bon oeil, et deux cent mille livres de rente, ce qui n'a jamais
rien gâté. Comme il voyait le bon côté de toute chose, il se félicitait d'être parvenu à l'âge
de soixante-cinq ans en conservant tous ses cheveux, qui à la vérité étaient blancs comme
neige; mais il ne s'avisait point de les teindre. Ayant l'esprit et le caractère bien faits, il
estimait que la nature a le génie de l'à-propos, qu'elle sait mieux que nous ce qui nous
convient, qu'elle est après tout un bon maître et en tout cas un maître tout-puissant, qu'il
est inutile de vouloir la contrarier et ridicule de disputer contre elle, qu'au surplus tous les
âges ont leurs plaisirs, qu'après avoir vécu tant bien que mal il n'est pas désagréable
d'employer quelque dix années à regarder vivre les autres, en riant sous cape de leurs
sottises et en se disant: «Je n'en fais plus, mais je les comprends toutes.»
S'il n'en voulait pas à la vieillesse d'avoir blanchi ses abondants cheveux couleur noisette,
dont jadis il avait tiré quelque vanité, le marquis pardonnait facilement aux révolutions
d'avoir interrompu avant le temps sa carrière. On a toujours vingt-quatre heures pour
maudire ses juges; après avoir soulagé son dépit par quelques épigrammes bien
décochées, M. de Miraval s'était bientôt consolé d'un événement qui le condamnait à
n'être plus rien dans l'État, mais qui en revanche lui avait rendu son indépendance. La
liberté avait toujours été pour lui le plus précieux des biens; il jugeait que l'homme
heureux est celui qui s'appartient et gouverne sa vie à sa façon. C'est pour cela qu'après
avoir été marié pendant deux ans il avait résolu de rester veuf. En vain le pressait-on de
convoler, il avait répondu comme un peintre célèbre: «Est-il donc si agréable, en rentrant
chez soi, d'y trouver une étrangère?» Il aimait mieux aller chercher les étrangères chez
elles, et souvent il en avait été bien accueilli; mais il n'avait jamais pris les femmes au
grand sérieux; il était un peu sceptique à leur endroit, et il les avait quittées avant qu'elles
le quittassent. A cinquante ans, il avait enrayé; à soixante, il avait dételé. Le marquis de
Miraval était un sage, d'autres diront que c'était un égoïste; c'est une
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