papier.?
Mme de Penneville s'approcha du marquis, caressa doucement ses cheveux blancs, et lui passant ses bras autour du cou:
?Vous êtes si habile! vous avez l'esprit si délié! On assure que vous avez rempli autrefois des missions infiniment délicates, dont vous vous êtes acquitté à votre gloire.
--Caline, négocier avec un gouvernement est chose plus aisée que de traiter avec un amoureux conduit par une intrigante.
--Vous ne me ferez jamais croire que rien vous soit impossible.
--Tu as juré de me piquer au jeu, lui dit-il. Et bien! soit, l'entreprise mérite d'être tentée. Mais, à propos, as-tu déjà répondu à la formidable ép?tre que tu viens de me lire?
--Je n'ai rien voulu faire sans m'être concertée avec vous.
--Tant mieux, rien n'est compromis, l'affaire est entière. Allons, je te dirai demain si je me décide à partir pour Lausanne.?
La comtesse remercia chaudement M. de Miraval. Elle le remercia plus chaudement encore le lendemain, quand il lui annon?a qu'il avait pris son parti et qu'il la priait de le faire conduire à la gare. Elle l'accompagna pour s'assurer qu'il ne se ravisait pas, et elle lui dit en chemin:
?Voilà un voyage que toutes les mères de famille glorifieront; mais, s'il vous pla?t, quand vous serez là-bas, donnez-moi souvent de vos nouvelles.
--Oui, je t'en donnerai, répondit-il, mais à une condition.
--Laquelle?
--C'est que tu ne croiras pas un mot de ce que je t'écrirai.
--Que voulez-vous dire?
--J'exige aussi, continua-t-il, que tu me répondes comme si tu me croyais et que tu envoies mes lettres à Horace, en lui recommandant le secret.
--Je vous comprends de moins en moins.
--Qu'est-ce donc qu'une femme qui ne comprend pas? Les lettres ostensibles, c'est le fond de la diplomatie. Après tout, il n'est pas nécessaire que tu me comprennes; l'essentiel est que tu te conformes scrupuleusement à mes instructions. Adieu, ma chère! je m'en vais où m'envoient le ciel et tes chatteries. Si je ne réussis pas, cela prouvera que nos amis les républicains ont eu raison de me mettre à la retraite.?
Cela dit, il embrassa sa nièce et monta en wagon. Vingt-quatre heures plus tard, il arrivait à Lausanne, où son premier soin fut, après avoir retenu une chambre à l'h?tel Gibbon, de se procurer tout un attirail de pêche. Là-dessus, fatigué du voyage, il dormit six heures durant. Dès qu'il se fut réveillé, il d?na, et, dès qu'il eut d?né, il se fit conduire en voiture à la pension Vallaud, située à vingt minutes de Lausanne, sur le penchant de l'un des plus beaux coteaux du monde. Cette charmante villa, convertie depuis peu en h?tellerie, se composait d'une maison commune, où le comte de Penneville occupait un appartement, et d'un joli chalet isolé qu'habitaient Mme Corneuil et sa mère. Le chalet et la maison commune étaient séparés ou, si l'on aime mieux, réunis par un grand parc bien ombragé, qu'Horace traversait plusieurs fois par jour en se disant: ?Quand donc vivrons-nous sous le même toit?? Mais il faut savoir attendre son bonheur.
En ce moment, Horace, la plume à la main, travaillait à sa grande Histoire des Hycsos ou des Pasteurs ou des Impurs, c'est-à-dire de ces terribles nomades chananéens qui, deux mille ans avant l'ère chrétienne, dérangés dans leurs campements par les invasions élamites des rois Chodornakhounta et Chodormabog, envahirent à leur tour la vallée du Nil, la mirent à feu et à sang et occupèrent pendant plus de cinq siècles le centre et le nord de l'égypte. Fort de son érudition, riche de documents nouveaux péniblement recueillis par lui, il avait entrepris de démontrer par des témoignages irréfragables que le Pharaon sous lequel Joseph devint ministre était bien Apophis ou Apépi, roi des Hycsos, et il se flattait de le prouver si bien que désormais il serait impossible aux esprits les plus prévenus de soutenir le contraire. Quelques mois auparavant, il avait envoyé, du Caire à Paris, les premiers chapitres de son histoire, dont lecture fut faite à l'Institut; sa thèse avait scandalisé quelques égyptologues; d'autres y trouvaient du bon, et l'un d'eux lui avait écrit à ce propos: ?Voilà un début qui promet. Macte animo, generose puer.?
Vêtu d'une sorte de burnous en laine blanche, le cou libre, les cheveux en désordre, il était accoudé sur une table ronde, en face d'une écritoire dont le couvercle était surmonté d'un sphinx, et sa figure exprimait le contentement du coeur uni à la parfaite sérénité de la conscience. Au milieu de la table s'épanouissait une belle rose pourpre, presque noire, qu'il avait mise tremper dans un verre et dans laquelle une statuette en fa?ence bleue, qui représentait une déesse égyptienne au visage de chatte, plongeait indiscrètement, sans se dérider, son museau rébarbatif. Horace contemplait par instants ce museau, qui lui était cher, et cette rose, que Mme Corneuil avait cueillie pour lui il n'y avait pas une heure; par instants aussi, tournant ses yeux
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