monstre, après avoir aimé cet ange, s'était dégo?té de son bonheur, dont il était indigne, qu'il avait usé des procédés les plus révoltants, qu'il ne lui avait pas suffi d'avoir des ma?tresses et de les afficher, qu'il s'était livré à des emportements odieux, compliqués de voies de fait, de véritables sévices. A cela ma?tre Virion répliqua que, si son client avait eu l'imprudence de s'abandonner par-devant témoins à de regrettables vivacités, ce n'était point un monstre, et que, ai la demanderesse était une créature angélique, il y avait dans le coeur onctueux de cet ange beaucoup de vinaigre et surtout beaucoup de calcul. Il s'effor?a de démontrer à la cour que M. Corneuil n'avait eu que des torts fort excusables, mais que sa femme lui faisait un crime de s'obstiner à vivre à Périgueux, où elle ne pouvait se souffrir, que n'ayant point réussi à lui persuader de transporter le domicile conjugal à Paris, seul séjour, pensait-elle, qui f?t digne de ses graces et de son génie, elle avait formé le projet de reconquérir son indépendance, qu'à cet effet elle s'était appliquée avec un art machiavélique à le mettre dans ses torts, qu'elle lui avait rendu son intérieur insupportable par la sécheresse de son humeur, par toute sorte de petites persécutions, par ces mille coups d'épingle dont les anges ont le secret et qui poussent à bout des hommes qui ne sont pas des monstres. Le malheureux était-il si coupable d'avoir cherché à se consoler? Je le répète, les deux avocats firent merveille. La difficulté est de savoir qui mentait; pour mon compte, je les aurais renvoyés dos à dos. Ce qui est certain, c'est que la cour donna raison à ma?tre Papin. La séparation fut prononcée et la moitié de la fortune adjugée à Mme Corneuil. Cependant ma?tre Virion n'avait pas menti de tout point, puisque, six mois après le jugement, Mme Corneuil partait pour Paris en compagnie de sa mère.
?Tu me demanderas, je le prévois, ma chère Mathilde, ce qu'a bien pu devenir à Paris la belle Mme Corneuil; ce n'est pas ce que tu penses. J'ai fait trois courses ce matin à l'unique fin de pouvoir te renseigner; ne me remercie pas trop: j'aime à courir. Mme Corneuil n'a pas encore assouvi toutes ses secrètes ambitions; elle ne peut pas dire: Je suis arrivée, m'y voilà! Mais elle est en bon chemin. Le papillon n'a pas dépouillé entièrement sa chrysalide; il est patient; quelque jour il déploiera ses ailes et sortira triomphant de son étui. Cependant Mme Corneuil re?oit; elle donne à d?ner; elle a un salon. Une jolie femme, qui a une mère habile et un bon chef, n'a pas à craindre qu'on la laisse sécher dans la solitude. On trouvait autrefois chez elle beaucoup de gens de lettres, surtout de ceux qui appartiennent à la nouvelle école, à ce qu'on appelle le parti des jeunes. Grand bien leur fasse! Il en est dans le nombre qui ont du talent et de l'avenir; il en est d'autres dont on assure que leurs nouveautés ne sont pas neuves et que leur jeunesse sent un peu le rance; mais ce ne sont pas mes affaires. Cela ne les empêche point d'avoir de bonnes dents, et on mange très bien chez Mme Corneuil. Elle ne se contentait pas de nourrir la littérature, elle en faisait elle-même, et elle employait les jeunes gens qui fréquentaient chez elle à écrire à sa louange de petits articles dans les petite journaux. Les estomacs reconnaissants sont d'excellentes trompettes, et au surplus elle est assez riche pour payer sa gloire.
?Dix-huit mois après son installation à Paris, elle publia un roman, qui, par le plus grand des hasards, me tomba sous la main. Je te confesse que je ne l'ai pas lu jusqu'au bout; on ne peut demander à un homme d'avoir tous les genres de courage. Cela commen?ait par la description d'un brouillard. Au bout de dix pages, le ciel soit loué! le brouillard se levait, et on apercevait une femme dans une calèche. Je me souviens que cette calèche sortait de chez Binder, et je me souviens aussi que cette femme, dont le coeur était un ab?me, gantait le six un quart, qu'elle avait trois taches de rousseur à la tempe droite, ni plus ni moins, ?des narines palpitantes, des ronds de bras inimitables et des silences anhélants.? Je ne sais si tu es comme moi, le charabia et les descriptions me font peur, et je me sauve. J'ai d'ailleurs l'esprit si mal fait que cette femme, dont le portrait a co?té tant de mal à l'auteur, je ne la vois pas; le bon Homère, qui n'était pas un jeune, s'est contenté de m'apprendre qu'Achille était blond, et je le vois. Enfin, que veux-tu? C'est la mode du jour; cela s'appelle étudier... comment
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.