Aline et Valcour, tome II | Page 4

D.A.F. de Sade
y réussirent, et nous nous
mîmes dès l'instant à l'ouvrage. Les deux bras furent impitoyablement cassés. Les
religieuses appelées, le projet du transport de la sainte approuvé, il ne fut plus question
que d'agir.
Ce fut alors que j'écrivis le billet convenu à Léonore; je lui recommandai de se trouver le
soir même à l'entrée de la chapelle de Sainte Ultrogote avec le moins de vêtemens
possible, parce que j'en avois de sanctifiés à lui fournir, dont la vertu magique seroit de la
faire aussitôt disparoître du couvent.
Léonore ne me comprenant point, vint aussitôt me trouver chez ma tante. Comme nous
avions ménagé nos rendez-vous, ils n'étonnèrent personne. On nous laissa seuls un instant,
et j'expliquai tout le mystère.
Le premier mouvement de Léonore fut de rire. L'esprit qu'elle avait ne s'arrangeant pas
avec le bigotisme, elle ne vit d'abord rien que de très-plaisant au projet de lui faire
prendre la place d'une statue miraculeuse; mais la réflexion refroidit bientôt sa gaîté.... Il
fallait passer la nuit là.... Quelque chose pouvait s'entendre; les Nones.... Celles, au moins,
qui couchaient près de cette chapelle, n'avaient qu'à s'imaginer que le bruit qui en venait,
était occasionné par la Sainte, furieuse de son changement; elles n'avaient qu'à venir
examiner, découvrir.... Nous étions perdus; dans le transport, pouvait-elle répondre d'un
mouvement?... Et si on levait le drap, dont elle serait couverte.... Si enfin.... Et mille
objections, toutes plus raisonnables les unes que les autres, et que je détruisis d'un seul
mot, en assurant Léonore qu'il y avait un Dieu pour les amans, et que ce Dieu imploré par
nous, accomplirait infailliblement nos voeux, sans que nul obstacle vint en troubler
l'effet.
Léonore se rendit, personne ne couchait dans sa chambre; c'était le plus essentiel. J'avais
écrit à la femme qui m'avait accompagné de Paris, de se trouver le lendemain, de
très-grand matin, chez le sculpteur, dont je lui envoyais l'adresse; d'apporter des habits
convenables pour une jeune personne presque nue, qu'on lui remettrait, et de l'emmener
aussi-tôt à l'auberge où nous étions descendus, de demander des chevaux de poste pour
neuf heures précises du matin; que je serais sans faute, de retour à cette heure, et que
nous partirions de suite.
Tout allant à merveille de ce côté, je ne m'occupai plus que des projets intérieurs;
c'est-à-dire des plus difficiles, sans-doute.

Léonore prétexta un mal de tête, afin d'avoir le droit de se retirer de meilleure heure, et
dès qu'on la crut couchée, elle sortit, et vint me trouver dans la chapelle, où j'avais l'air
d'être en méditation. Elle s'y mit comme moi; nous laissames étendre toutes les nones sur
leurs saintes couches, et dès que nous les supposames ensevelies dans les bras du
sommeil, nous commençames à briser et à réduire en poudre la miraculeuse statue, ce qui
nous fut fort aisé, vu l'état dans lequel elle était. J'avais un grand sac, tout prêt, au fond
duquel étaient placées quelques grosses pierres. Nous mimes dedans les débris de la
sainte, et j'allai promptement jetter le tout dans un puits. Léonore, peu vêtue, s'affubla
aussi-tôt des parures de Sainte-Ultrogote; je l'arrangeai dans la situation penchée, où le
sculpteur l'avait mise, pour la travailler. Je lui emmaillotai les bras, je mis à côté d'elle,
ceux de bois, que nous avions cassé la veille, et après lui avoir donné un baiser.... Baiser
délicieux, dont l'effet fut sur moi bien plus puissant que les miracles de toutes les Saintes
du Ciel; je fermai le temple où reposait ma déesse, et me retirai tout rempli de son culte.
Le lendemain, de grand matin, le sculpteur entra, suivi d'un de ses élèves, tous deux
munis d'un drap. Ils le jetterent sur Léonore, avec tant de promptitude et d'adresse, qu'une
none qui les éclairait, ne put rien découvrir; l'artiste aidé de son garçon, emporta la
prétendue Sainte; ils sortirent, et Léonore reçue par la femme qui l'attendait, se trouva à
l'auberge indiquée, sans avoir éprouvé d'obstacle à son évasion.
J'avais prévenu de mon départ. Il n'étonna personne. J'affectai, au milieu de ces dames,
d'être surpris de ne point voir Léonore, on me dit qu'elle était malade. Très en repos sur
cette indisposition, je ne montrai qu'un intérêt médiocre. Ma tante, pleinement persuadée
que nous nous étions fait nos adieux mystérieusement, la veille, ne s'étonna point de ma
froideur, et je ne pensai plus qu'à revoler avec empressement, où m'attendait l'objet de
tous mes voeux.
Cette chère fille avait passé une nuit cruelle, toujours entre la crainte et l'espérance; son
agitation avait été extrême; pour achever de l'inquiéter encore plus, une vieille religieuse
était venue pendant la nuit prendre congé de la Sainte; elle avait marmotté plus d'une
heure, ce qui avait presqu'empêché Léonore de respirer; et à la fin des patenôtres, la
vieille bégueule en larmes avait voulu la baiser
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