qui lui semblait fait pour la légitimer, Adéla?de céda, et j'osai la rendre coupable, ne voulant que la trouver sensible.
Six mois se passèrent dans cette illusion, sans que nos plaisirs eussent altéré notre amour; dans l'ivresse de nos transports, un moment même nous voul?mes fuir; incertains de la liberté de former nos cha?nes, nous voul?mes aller les serrer ensemble au bout de l'univers ... la raison triompha; je déterminai Adéla?de, et dès ce moment fatal il était clair, que je l'aimais moins.
Adéla?de avait un frère capitaine d'infanterie que nous espérions mettre dans nos intérêts ... on l'attendait, il ne vint point. Le régiment partit; nous nous f?mes nos adieux, des flots de larmes coulèrent; Adéla?de me rappela mes sermens, je les renouvelai dans ses bras ... et nous nous séparames.
Mon père m'appela cet hiver à Paris, j'y volai: il s'agissait d'un mariage; sa santé chancelait; il désirait me voir établi avant de fermer les yeux; ce projet, les plaisirs, que vous dirai-je enfin! cette force irrésistible de la main du sort qui nous porte toujours malgré nous où ses loix veulent que nous soyons; tout effa?a peu-à-peu Adéla?de de mon coeur. Je parlai pourtant de cet arrangement à ma famille; l'honneur m'y engageait, je le fis, mais les refus de mon père légitimèrent bient?t mon inconstance; mon coeur ne me fournit aucune objection; et je cédai, sans combattre, en étouffant tous mes remords. Adéla?de ne fut pas long-temps à l'apprendre.... Il est difficile d'exprimer son chagrin; sa sensibilité, sa grandeur, son innocence, son amour, tous ces sentimens qui venaient de faire mes délices, arrivaient à moi en traits de flamme, sans qu'aucun parv?nt à mon coeur.
Deux ans se passèrent ainsi filés pour moi par les mains des plaisirs; et marqués pour Adéla?de par le repentir et le désespoir.
Elle m'écrivit un jour, qu'elle me demandait pour unique faveur de lui assurer une place aux carmélites; de lui mander aussi-t?t que j'aurais réussi; qu'elle s'échapperait de la maison de son père, et viendrait s'ensevelir toute vivante dans ce cercueil qu'elle me priait de lui préparer.
Parfaitement calme alors, j'osai répondre quelques plaisanteries à cet affreux projet de la douleur, et rompant enfin toutes mesures, j'exhortai Adéla?de à oublier dans le sein de l'hymen les délires de l'amour.
Adéla?de ne m'écrivit plus. Mais j'appris trois mois après qu'elle était mariée; et dégagé par-là de tous mes liens, je ne songeai plus qu'à l'imiter.
Un événement terrible pour moi vint déranger tous mes projets; il sembloit que le ciel voul?t déjà venger Adéla?de des malheurs où je l'avais plongée. Mon père mourut, ma mère le suivit de près, et je me vis à vingt-cinq ans seul abandonné dans le monde à tous les malheurs, à tous les accidens qui suivent ordinairement un jeune homme de mon caractère; que de faux amis perdent, que l'expérience n'éclaire pas encore, et qui, pour comble d'aveuglement, ose trop souvent prendre pour un bonheur l'événement qui le rend ma?tre de lui, sans réfléchir, hélas! que les mêmes freins qui le captivaient, servaient aussi à le soutenir, et qu'il n'est plus, dès qu'ils se brisent, que comme ces plantes légères, dégagées par la chute du peuplier antique qui protégeait leurs jeunes élans, et qui bient?t expirent elles-mêmes faute de soutiens. Non-seulement je perdais des parens chers et précieux; non-seulement je n'avais plus d'appui sur la terre, mais tout s'éclipsait, tout s'anéantissait avec eux; cette vaine gloire qui m'avait séduit ne devint plus qu'une ombre qui s'évanouit avec les rayons qui la modifiaient. Les adulateurs fuirent, les places se donnèrent, les protections se perdirent, la vérité déchira le voile qu'étendait la main de l'erreur sur le miroir de la vie, et je m'y vis enfin tel que j'étais.
Je ne sentis pas pourtant tout-à-coup mes pertes, il fallait l'affreuse catastrophe qui m'attendait pour m'en convaincre. Aline, Aline, permettez que mes larmes coulent encore sur les cendres de ces parens chéris; puissent mes regrets éternels les venger de cette voix funeste et involontaire, qui osa crier au fond de mon ame, _que regrettes-tu, tu es libre?_ Oh, juste ciel! qui put l'inspirer cette voix barbare, quel est donc le sentiment cruel et faux qui l'a fait na?tre? Où trouve-t-on des amis dans le monde qui puissent nous tenir lieu d'un père et d'une mère? quels gens prendront à nous un intérêt plus réel et plus vif? Qui nous excusera? qui nous conseillera? qui tiendra le fil, dans ce dédale obscur où nous entra?nent les passions? Quelques flatteurs nous égareront; de faux amis nous tromperont. Nous ne trouverons sous nos pas que des pièges, et nulle main secourable ne nous empêchera d'y tomber.
Il était essentiel d'aller mettre un peu d'ordre dans les biens de mon père, très-loin de son séjour, très-diminués par les dépenses où l'avaient entra?né les années qu'il avait passées dans les négociations; mon intérêt
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