vérité, madame, c'est la fortune, et l'on ne vit point sans considération. D'ailleurs, qu'a donc mon ami d'Olbourg pour inspirer de l'éloignement à votre fille? (Oh, Valcour, je voudrais que vous le vissiez!) Est-ce parce que ce n'est pas un de ces freluquets du jour, qui, faisant croire à une jeune personne qu'ils en sont épris uniquement parce qu'ils la savent riche, épousent la dot et laissent la fille? ou peut-être ce sont les talens et l'esprit qui vous séduisent. Quoi! parce qu'un homme aura fait quelques comédies, quelques épigrammes, qu'il aura lu Homère et Virgile, il possédera, de ce moment, tout ce qu'il faut pour faire le bonheur de votre fille!?
Vous voyez, mon ami, sur qui tombait ce dernier sarcasme; mais le cruel craignant que nous ne l'eussions pas encore entendu: ?Je vous prie répliqua-t-il, en colère, madame, d'écrire sur-le-champ à M. de Valcour que ses visites m'honorent infiniment, sans doute, mais qu'il m'obligera pourtant de les supprimer; je ne veux pas donner ma fille à un homme qui n'a rien.--Sa naissance, reprit ma mère, vaut mieux que la mienne.--Je le sais bien, madame; voilà toujours l'orgueil des filles de condition; avec elles la naissance fait tout. Voulez-vous que ma fille éprouve avec son Valcour ce qui m'est arrivé avec vous? Epouser du parchemin?... A quoi me sert, je vous prie, celui que vous m'avez donné?... J'aimerais mieux vingt-cinq mille francs par an, que toutes ces généalogies, qui comme les vers phosphoriques, ne brillent que par l'obscurité, ne sont illustres que parce qu'on n'en voit pas l'origine, et dont on peut dire tout ce qu'on veut, parce que le bout manque. Valcour est d'une bonne maison, je le sais, il a de plus un puissant mérite à vos yeux, il est passionné pour les belles-lettres; mais moi, que cette considération touche fort peu ... je veux de l'argent, et il n'a pas le sou. Voilà sa sentence, apprenez-la lui, je vous le conseille?. A ces mots, il a disparu, et nous a laissées, ma mère et moi, dans les larmes. Cependant mon ami, car il faut que je répande un peu de baume sur les blessures que je viens de faire, l'espoir n'est pas encore banni de mon coeur, et cette mère respectable, que j'idolatre, et qui vous aime, me charge positivement de vous dire qu'elle ne veut pas que vous vous désespériez.... Elle est presque s?re d'obtenir du tems, et dans des circonstances commes celles où nous sommes, le tems fait beaucoup. Rendez-vous donc aux ordres de mon père; ne venez plus, mais écrivez-nous. Une affaire de la plus grande importance encha?nera le Président à Paris tout l'été, et je crois que ma mère obtiendra d'aller passer cette saison seule avec moi dans sa petite terre de Vert-feuille, près d'Orléans; unique bien qu'elle ait apporté à mon père, qui comme vous voyez, le lui reproche assez cruellement[1]. Son but est d'obtenir du Président de ne rien précipiter; elle se chargera, dit-elle, de me disposer à tout, et de vaincre mes répugnances, pourvu qu'on ne presse rien, et qu'on nous laisse passer quelques mois toutes deux solitairement à Vert-feuille.... Mon ami, si elle l'obtient, je vous avoue que je regarderai cela comme une demi-victoire; le tems est tout dans d'aussi terribles crises, c'est tout avoir que d'en obtenir.
Adieu, ne vous alarmez pas, aimez moi, pensez à moi, écrivez-moi ... que je remplisse tous vos momens comme vous occupez tout mon coeur.... O mon ami! il faudrait bien peu de choses, vous le voyez, pour nous séparer à jamais; mais ce qui me console au moins dans mon malheur, c'est la certitude où je suis qu'aucune force divine ou humaine, ne parviendrait à m'empêcher de vous aimer.
Note:
[Footnote 1: Cette terre vaut seize mille livres de rente, elle avoit été la seule dot de madame de Blamont, mais il existait dans le contrat qu'elle se marierait séparée de bien; cette clause et ce médiocre revenu, relativement à la fortune immense de M. de Blamont, étaient les deux motifs de ses reproches.]
* * * * *
LETTRE TROISIèME.
_Valcour à Aline_.
7 Juin.
Oui, je l'ai lu ce mot cruel.... J'ai re?u le coup qui doit briser ma vie, et toutes les facultés qui la composent ne se sont point anéanties! O mon Aline! quel art avez-vous donc mis à me le porter? vous me donnez la mort, et vous voulez que je vive!... vous détruisez l'espoir et vous le ranimez!...non je ne mourrai point.... Je ne sais quelle voix se fait entendre au fond de mon coeur.... Je ne sais quel organe secret semble m'avertir de vivre et que tous les instans de la félicité ne sont pas encore éteints pour moi ... non je ne sais quel il est, ce mouvement, mais je lui cède ... ne plus vous voir, Aline!... ne plus m'enivrer,
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