Aldo le rimeur | Page 3

George Sand
me r��duisez �� l'aum?ne, mais vous n'aurez pas bon march�� de ma fiert��. Allons! ce fat m'a fait perdre une demi-heure, remettons-nous �� l'ouvrage. La nuit s'avance; je ne serai plus d��rang��. Tout est silencieux dans la ville et autour de moi. D��vorons cette nouvelle insulte; quand le brodequin est bon, le pied ne craint pas de se souiller en traversant la boue. ��crivons.
[Illustration: Mon cher Monsieur, vous ��tes po?te?... (Page 54 )]
Travailler!... chanter! faire des vers! amuser le public! lui donner mon cerveau pour livre, mon coeur pour clavier, afin qu'il en joue �� son aise, et qu'il le jette apr��s l'avoir ��puis�� en disant: Voici un mauvais livre, voici un mauvais instrument. ��crire! ��crire!... penser pour les autres... sentir pour les autres... abominable prostitution de l'ame! Oh! m��tier, m��tier, gagne-pain, servilit��, humiliation!--Que faire?--��crire? sur quoi?--Je n'ai rien dans le cerveau, tout est dans mon coeur!... et il faut que je te donne mon coeur �� manger pour un morceau de pain, public grossier, b��te f��roce, amateur de tortures, buveur d'encre et de larmes!--Je n'ai dans l'ame que ma douleur; il faut que je te repaisse de ma douleur. Et tu en riras peut-��tre! Si mon luth mouill�� et d��tendu par mes pleurs rend quelque son faible, tu diras que toutes mes cordes sont fausses, que je n'ai rien de vrai, que je ne sens pas mon mal... quand je sens la faim d��vorer mes entrailles! la faim, la souffrance des loups! Et moi, homme d'intelligence et de r��flexion, je n'ai m��me pas la gloire d'une plus noble souffrance!... Il faut que toutes les voix de l'ame se taisent devant le cri de l'estomac qui faiblit et qui br?le!--Si elles s'��veillent dans le d��lire de mes nuits d��plorables, ces souffrances plus poignantes, mais plus grandes, ces souffrances dont je ne rougirais pas si je pouvais les garder pour moi seul, il faut que je les recueille sur un album comme des curiosit��s qui se peuvent mettre dans le commerce, et qu'un amateur peut acheter pour son cabinet. Il y a des boutiques o�� l'on vend des singes, des tortues, des squelettes d'homme et des peaux de serpent. L'ame d'un po��te est une boutique o�� le public vient marchander toutes les formes du d��sespoir: celui-ci estime l'ambition d��?ue sous la forme d'une ode au dieu des vers; celui-l�� s'affectionne pour l'amour tromp��, rim�� en ��l��gie; cet autre rit aux ��clats d'une ��pigramme qui partit d'un sein rong�� par la col��re, d'une bouche am��re de fiel. Pauvre po��te! chacun prend une pi��ce de ton v��tement, une fibre de ton corps, une goutte de ton sang; et quand chacun a essay�� ton v��tement �� sa taille, ��prouv�� la force de tes nerfs, analys�� la qualit�� de ton sang, il te jette �� terre avec quelques pi��ces de monnaie pour d��dommagement de ses insultes, et il s'en va, se pr��f��rant �� toi dans la sinc��rit�� de ses pens��es insolentes et stupides.--O gloire du po��te, laurier, immortalit�� promise, sympathie flatteuse, haillons de royaut��, jouets d'enfants! que vous cachez mal la nudit�� d'un mendiant couvert de plaies! Oh! m��prisables! m��prisables entre tous les hommes, ceux qui, pouvant vivre d'un autre travail que celui-l��, se font po��tes pour le public! Mis��rables com��diens qui pourriez jouer le r?le d'hommes, et qui montez sur un tr��teau pour faire rire et pleurer les d��soeuvr��s! n'avez-vous pas la force de vivre en vous-m��mes, de souffrir sans qu'on vous plaigne, de prier sans qu'on vous regarde? Il vous faut un auditoire pour admirer vos pu��riles grandeurs, pour compatir �� vos douleurs vulgaires! Celui qui est n�� fils de roi, d'histrion ou de bourreau suit forc��ment la vocation h��r��ditaire; il accomplit sa triste et honteuse destin��e. S'il en triomphe, s'il s'��l��ve seulement au niveau des hommes ordinaires, qu'il soit lou�� et encourag��! Mais vous, grands seigneurs, hommes instruits, hommes robustes, vous avez la fortune pour vous rendre libres, la science pour vous occuper, des bras pour creuser la terre en cas de ruine; et vous vous faites ��crivains! et vous nous livrez les facult��s d��bauch��es de votre intelligence, vous cherchez la puissance morale dans l'��panchement ignoble de la publicit��! vous appelez la populace autour de vous, et vous vous mettez nus devant elle pour qu'elle vous juge, pour qu'elle vous examine et vous sache par coeur! Oh! lache! si vous ��tes difforme, et si, pour obtenir la compassion, vous vous livrez au m��pris! lache encore plus si vous ��tes beau et si vous cherchez dans la foule l'approbation que vous ne devriez demander qu'�� Dieu et �� votre ma?tresse.... C'est ce que je disais l'autre jour au duc de Buckingham qui me consultait sur ses vers.--Et il a tellement go?t�� mon avis qu'il m'a mis �� la porte de chez lui, et m'a fait retirer la faible pension que m'accordait la reine
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