Aldo le rimeur | Page 7

George Sand
faire pour vous, Aldo? Je ne puis pas rendre la vie à votre mère.
ALDO.
Tu peux me rendre sa tendresse, sa mélancolique et silencieuse compagnie, et surtout le besoin qu'elle avait de moi, le devoir qui m'attachait à elle et à la vie. Hélas! il y a eu des jours où, dans mon découragement, j'ai souhaité que la pauvre Meg arrivat au terme de ses maux, afin de retrouver la liberté de me soustraire aux miens! Tout à l'heure, dans mon délire, je me suis réjoui amèrement d'être enfin délivré de mon pieux fardeau. Je me suis assis en blasphémant au bord du chemin. Et j'ai dit: Je n'irai pas plus loin.--Mais je suis bien jeune encore pour mourir, n'est-ce pas, Jane? Tout n'est peut-être pas fini pour moi; l'avenir peut s'éveiller plus beau que le passé. Je veux devenir riche et puissant; si je trouve une douce compagne, tendre et bonne comme ma mère, et en même temps jeune et forte pour supporter les mauvais jours, belle et caressante pour m'enivrer comme un doux breuvage d'oubli au milieu de mes détresses, je puis encore voir la verte espérance s'épanouir comme un bourgeon du printemps sur une branche engourdie par l'hiver.
JANE.
J'aime beaucoup les choses que vous dites, ? mon bien-aimé! Quoique vos paroles ne soient pas familières à mon oreille, vos compliments me font toujours regretter de n'avoir pas un miroir devant moi, pour voir si je suis belle autant que vous le dites.
ALDO.
Et que vous importe de l'être ou de ne l'être pas, pourvu que je vous voie ainsi et que je vous aime telle que vous êtes à mes yeux et dans mon coeur!
JANE.
Vous avez toujours à la bouche des paroles qui plaisent quand on les écoute; mais quand on y songe après, on ne les comprend plus et on sent de l'inquiétude.
ALDO.
En vérité, Jane, vous raisonnez plus que je ne croyais. Eh quoi! vous gardez un compte exact de mes paroles et vous les commentez en mon absence? Il faut prendre garde à ce que l'on vous dit!
JANE.
N'est-ce pas mon orgueil et ma joie de m'en souvenir?
ALDO.
Aimable et bonne fille! pardonne-moi. Je suis injuste; je suis amer: j'ai été si malheureux! Mais tu me consoleras, toi, n'est-ce pas?
JANE.
Oui, mon beau rêveur, si vous consentez à être consolé.
ALDO.
Comment pourrais-je ne pas y consentir? Voilà une parole étrange dans votre bouche!
JANE.
Vous vous étonnez de mon désir de vous consoler? C'est vous, Aldo, qui me semblez étrange!
ALDO.
En effet, c'est peut-être moi! Passez-moi ces boutades, c'est malgré moi qu'elles me viennent. Je ne veux pas m'y livrer. Donnez-moi votre main, Jane, et donnez-moi aussi votre foi. Jurez avec moi sur le cadavre de ma pauvre vieille amie, qui n'est plus, que vous vivrez pour moi, pour moi seul. J'ai besoin à l'heure qu'il est de trouver un appui ou de mourir. Vous êtes mon seul et dernier espoir; m'accueillerez-vous?
JANE.
Si je vous promets de vous aimer toujours, me promettez-vous de m'épouser?
ALDO.
Vous en doutez?
JANE.
Non, je n'en doute pas.
ALDO.
Mais vous en avez douté..
JANE.
Pourquoi quittez-vous ma main? Pourquoi vous éloignez-vous de moi d'un air sombre? Est-ce que je vous ai offensé?
ALDO.
Non.
JANE.
Vous ne vous voulez pas me regarder?
ALDO.
Je vous regarde; seulement ce n'est pas votre figure qui m'occupe, c'est au fond de votre coeur que mon regard plonge.
JANE.
Voilà que vous me dites des choses que je n'entends plus; et, comme vous froncez le sourcil en me les disant, je dois croire que ce sont des choses dures et affligeantes pour moi. Vous avez un malheureux caractère, Aldo, un sombre esprit, en vérité!
ALDO.
Vous trouvez?
JANE.
Oui, et j'en souffre.
ALDO.
Oh!... en ce cas je ne veux pas vous faire souffrir.
JANE.
Je vous pardonne.
ALDO, avec amertume.
Vous êtes bonne!
JANE.
C'est que je vous aime; tachez de m'aimer autant, et nous serons heureux.
ALDO.
J'y compte. En attendant, voulez-vous avoir la bonté d'appeler les voisines pour qu'elles viennent ensevelir le corps de ma mère?
JANE.
J'y vais. Donnez-moi un baiser. (Aldo la baise au front avec froideur.)
ALDO, seul.
Cette jeune fille est d'une merveilleuse stupidité! elle me blesse et me choque sans s'en douter, elle m'accorde mon pardon quand c'est elle qui m'offense, et elle re?oit mon baiser sans s'apercevoir au froid de mes lèvres que c'est le dernier! Mais la femme est donc un être bien lache et bien borné! Je croyais celle-ci plus na?ve, plus abandonnée à ce que la nature leur inspire parfois de beau et de généreux! Mais il y a dans le coeur un fonds d'égo?sme plus dur que le diamant, et aucun grand sentiment n'y peut germer. Toi qui te prétends descendue des cieux pour nous consoler, tu ne t'oublies pas toi-même dans le partage que tu veux établir entre nos destinées et les tiennes! Tu promets ton dévouement, tes caresses et ta fidélité, à la condition d'un échange semblable. Celle-ci me demande sans pudeur un serment qui était sur mes lèvres, et que j'aurais
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