Alcools | Page 3

Guillaume Apollinaire
nos bras
passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente

Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
LA CHANSON DU MAL-AIMÉ
A Paul Léautaud
Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance

Du beau Phénix s'il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.
Un soir de demi-brume à Londres
Un voyou qui ressemblait à
Mon amour vint à ma
rencontre
Et le regard qu'il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte
Je suivis ce mauvais garçon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions
entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hébreux moi Pharaon

Oue tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimée
Je suis le souverain
d'Égypte
Sa soeur-épouse son armée
Si tu n'es pas l'amour unique
Au tournant d'une rue brûlant
De tous les feux de ses façades
Plaies du brouillard
sanguinolent
Où se lamentaient les façades
Une femme lui ressemblant
C'était son regard d'inhumaine
La cicatrice à son cou nu
Sortit saoule d'une taverne

Au moment où je reconnus
La fausseté de l'amour même
Lorsqu'il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se
souvint
Près d'un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu'il revînt
L'époux royal de Sacontale
Las de vaincre se réjouit
Quand il la retrouva plus pâle

D'attente et d'amour yeux pâlis
Caressant sa gazelle mâle
J'ai pensé à ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore
amoureux
Heurtant leurs ombres infidèles
Me rendirent si malheureux
Regrets sur quoi l'enfer se fonde
Qu'un ciel d'oubli s'ouvre à mes voeux
Pour son
baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu
leur ombre
J'ai hiverné dans mon passé
Revienne le soleil de Pâques
Pour chauffer un coeur plus
glacé
Que les quarante de Sébaste
Moins que ma vie martyrisés
Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise
à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir
Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s'éloigne
Avec celle que j'ai perdue

L'année dernière en Allemagne
Et que je ne reverrai plus
Voie lactée ô soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs
des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres
nébuleuses
Je me souviens d'une autre année
C'était l'aube d'un jour d'avril
J'ai chanté ma joie
bien-aimée
Chanté l'amour à voix virile
Au moment d'amour de l'année
Aubade chantée à Laetare l'an passé
C'est le printemps viens-t'en Pâquette
Te promener au bois joli
Les poules dans la
cour caquètent
L'aube au ciel fait de roses plis
L'amour chemine à ta conquête
Mars et Vénus sont revenus
Ils s'embrassent à bouches folles
Devant des sites ingénus

Où sous les roses qui feuillolent
De beaux dieux roses dansent nus

Viens ma tendresse est la régente
De la floraison qui paraît
La nature est belle et
touchante
Pan sifflote dans la forêt
Les grenouilles humides chantent
Beaucoup de ces dieux...
Beaucoup de ces dieux ont péri
C'est sur eux que pleurent les saules
Le grand Pan
l'amour Jésus-Christ
Sont bien morts et les chats miaulent
Dans la cour je pleure à
Paris
Moi qui sais des lais pour les reines
Les complaintes de mes années
Des hymnes
d'esclave aux murènes
La romance du mal aimé
Et des chansons pour les sirènes
L'amour est mort j'en suis tremblant
J'adore de belles idoles
Les souvenirs lui
ressemblant
Comme la femme de Mausole
Je reste fidèle et dolent
Je suis fidèle comme un dogue
Au maître le lierre au tronc
Et les Cosaques
Zaporogues
Ivrognes pieux et larrons
Aux steppes et au décalogue
Portez comme un joug le Croissant
Qu'interrogent les astrologues
Je suis le Sultan
tout-puissant
O mes Cosaques Zaporogues
Votre Seigneur éblouissant
Devenez mes sujets fidèles
Leur avait écrit le Sultan
Ils rirent à cette nouvelle
Et
répondirent à l'instant
A la lueur d'une chandelle
Réponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople
Plus criminel que Barrabas
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzébuth es-tu
là-bas
Nourri d'immondice et de fange
Nous n'irons pas à tes sabbats
Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D'yeux arrachés à
coup de pique
Ta mère fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant
Des plaies des ulcères des croûtes
Groin de cochon cul
de jument
Tes richesses garde-les toutes

Pour payer tes médicaments
Voie lactée {1}
Voie lactée ô soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs
des amoureuses
Nageurs morts suivrons nous d'ahan
Ton cours vers d'autres
nébuleuses
Regret des yeux de la putain
Et belle comme une panthère
Amour vos baisers
florentins
Avaient une saveur amère
Qui a rebuté nos destins
Ses regards laissaient une traîne
D'étoiles dans les soirs tremblants
Dans ses yeux

nageaient les sirènes
Et nos baisers mordus sanglants
Faisaient pleurer nos fées
marraines
Mais en vérité je l'attends
Avec mon coeur avec mon âme
Et sur le pont des
Reviens-t'en
Si jamais reviens cette femme
Je lui dirai Je suis content
Mon coeur et ma tête se vident
Tout le ciel s'écoule par eux
O mes tonneaux des
Danaïdes
Comment faire pour être heureux
Comme un petit enfant candide
Je ne veux
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