une lumière.
"La faim s'empare de moi comme un brigand, dit Zarathoustra? Au
milieu des bois et des marécages la faim s'empare de moi, dans la nuit
profonde.
Ma faim a de singuliers caprices. Souvent elle ne me vient qu'après le
repas, et aujourd'hui elle n'est pas venue de toute la journée: où donc
s'est elle attardée?"
En parlant ainsi, Zarathoustra frappa à la porte de la maison. Un vieil
homme parut aussitôt: il portait une lumière et demanda: "Qui vient
vers moi et vers mon mauvais sommeil?"
"Un vivant et un mort, dit Zarathoustra. Donnez-moi à manger et à
boire, j'ai oublié de le faire pendant le jour. Qui donne à manger aux
affamés réconforte sa propre âme: ainsi parle la sagesse."
Le vieux se retire, mais il revint aussitôt, et offrit à Zarathoustra du
pain et du vin: "C'est une méchante contrée pour ceux qui ont faim,
dit-il; c'est pourquoi j'habite ici. Hommes et bêtes viennent à moi, le
solitaire. Mais invite aussi ton compagnon à manger et à boire, il est
plus fatigué que toi." Zarathoustra répondit: "Mon compagnon est mort,
je l'y déciderais difficilement."
"Cela m'est égal, dit le vieux en grognant; qui frappe à ma porte doit
prendre ce que je lui offre. Mangez et portez-vous bien!"
Ensuite Zarathoustra marcha de nouveau pendant deux heures, se fiant
à la route et à la clarté des étoiles: car il avait l'habitude des marches
nocturnes et aimait à regarder en face tout ce qui dort. Quand le matin
commença à poindre, Zarathoustra se trouvait dans une forêt profonde
et aucun chemin ne se dessinait plus devant lui. Alors il plaça le corps
dans un arbre creux, à la hauteur de sa tête - car il voulait le protéger
contre les loups - et il se coucha lui-même à terre sur la mousse. Et
aussitôt il s'endormi, fatigué de corps, mais l'âme tranquille.
9.
Zarathoustra dormit longtemps et non seulement l'aurore passa sur son
visage, mais encore le matin. Enfin ses yeux s'ouvrirent et avec
étonnement Zarathoustra jeta un regard sur la forêt et dans le silence,
avec étonnement il regarda en lui-même. Puis il se leva à la hâte,
comme un matelot qui tout à coup voit la terre, et il poussa un cri
d'allégresse: car il avait découvert une vérité nouvelle. Et il parla à son
coeur et il lui dit:
Mes yeux se sont ouverts: J'ai besoin de compagnons, de compagnons
vivants, - non point de compagnons morts et de cadavres que je porte
avec moi où je veux.
Mais j'ai besoin de compagnons vivants qui me suivent, parce qu'ils
veulent se suivre eux-mêmes - partout où je vais.
Mes yeux se sont ouverts: Ce n'est pas à la foule que doit parler
Zarathoustra, mais à des compagnons! Zarathoustra ne doit pas être le
berger et le chien d'un troupeau!
C'est pour enlever beaucoup de brebis du troupeau que je suis venu. Le
peuple et le troupeau s'irriteront contre moi: Zarathoustra veut être
traité de brigand par les bergers.
Je dis bergers, mais ils s'appellent les bons et les justes. Je dis bergers,
mais ils s'appellent les fidèles de la vraie croyance.
Voyez les bons et les justes! Qui haïssent-ils le plus? Celui qui brise
leurs tables des valeurs, le destructeur, le criminel: - mais c'est celui-là
le créateur.
Voyez les fidèles de toutes les croyances! Qui haïssent-ils le plus?
Celui qui brise leurs tables des valeurs, le destructeur, le criminel: -
mais c'est celui-là le créateur.
Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur et non des cadavres,
des troupeaux ou des croyants. Des créateurs comme lui, voilà ce que
cherche le créateur, de ceux qui inscrivent des valeurs nouvelles sur des
tables nouvelles.
Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur, des moissonneurs
qui moissonnent avec lui: car chez lui tout est mûr pour la moisson.
Mais il lui manque les cent faucilles: aussi, plein de colère, arrache-t-il
les épis.
Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur, de ceux qui savent
aiguiser leurs faucilles. On les appellera destructeurs et contempteurs
du bien et du mal. Mais ce seront eux qui moissonneront et qui seront
en fête.
Des créateurs comme lui, voilà ce que cherche Zarathoustra, de ceux
qui moissonnent et chôment avec lui: qu'a-t-il à faire de troupeaux, de
bergers et de cadavres!
Et toi, mon premier compagnon, repose en paix! Je t'ai bien enseveli
dans ton arbre creux, je t'ai bien abrité contre les loups.
Mais je me sépare de toi, te temps est passé. Entre deux aurores une
nouvelle vérité s'est levée en moi.
Je ne dois être ni berger, ni fossoyeur. Jamais plus je ne parlerai au
peuple; pour la dernière fois j'ai parlé à un mort.
Je veux me joindre aux créateurs, à ceux qui moissonnent et chôment:
je leur
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