j'habite ici. Hommes et bêtes viennent à moi, le solitaire. Mais invite aussi ton compagnon à manger et à boire, il est plus fatigué que toi." Zarathoustra répondit: "Mon compagnon est mort, je l'y déciderais difficilement."
"Cela m'est égal, dit le vieux en grognant; qui frappe à ma porte doit prendre ce que je lui offre. Mangez et portez-vous bien!"
Ensuite Zarathoustra marcha de nouveau pendant deux heures, se fiant à la route et à la clarté des étoiles: car il avait l'habitude des marches nocturnes et aimait à regarder en face tout ce qui dort. Quand le matin commen?a à poindre, Zarathoustra se trouvait dans une forêt profonde et aucun chemin ne se dessinait plus devant lui. Alors il pla?a le corps dans un arbre creux, à la hauteur de sa tête - car il voulait le protéger contre les loups - et il se coucha lui-même à terre sur la mousse. Et aussit?t il s'endormi, fatigué de corps, mais l'ame tranquille.
9.
Zarathoustra dormit longtemps et non seulement l'aurore passa sur son visage, mais encore le matin. Enfin ses yeux s'ouvrirent et avec étonnement Zarathoustra jeta un regard sur la forêt et dans le silence, avec étonnement il regarda en lui-même. Puis il se leva à la hate, comme un matelot qui tout à coup voit la terre, et il poussa un cri d'allégresse: car il avait découvert une vérité nouvelle. Et il parla à son coeur et il lui dit:
Mes yeux se sont ouverts: J'ai besoin de compagnons, de compagnons vivants, - non point de compagnons morts et de cadavres que je porte avec moi où je veux.
Mais j'ai besoin de compagnons vivants qui me suivent, parce qu'ils veulent se suivre eux-mêmes - partout où je vais.
Mes yeux se sont ouverts: Ce n'est pas à la foule que doit parler Zarathoustra, mais à des compagnons! Zarathoustra ne doit pas être le berger et le chien d'un troupeau!
C'est pour enlever beaucoup de brebis du troupeau que je suis venu. Le peuple et le troupeau s'irriteront contre moi: Zarathoustra veut être traité de brigand par les bergers.
Je dis bergers, mais ils s'appellent les bons et les justes. Je dis bergers, mais ils s'appellent les fidèles de la vraie croyance.
Voyez les bons et les justes! Qui ha?ssent-ils le plus? Celui qui brise leurs tables des valeurs, le destructeur, le criminel: - mais c'est celui-là le créateur.
Voyez les fidèles de toutes les croyances! Qui ha?ssent-ils le plus? Celui qui brise leurs tables des valeurs, le destructeur, le criminel: - mais c'est celui-là le créateur.
Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur et non des cadavres, des troupeaux ou des croyants. Des créateurs comme lui, voilà ce que cherche le créateur, de ceux qui inscrivent des valeurs nouvelles sur des tables nouvelles.
Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur, des moissonneurs qui moissonnent avec lui: car chez lui tout est m?r pour la moisson. Mais il lui manque les cent faucilles: aussi, plein de colère, arrache-t-il les épis.
Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur, de ceux qui savent aiguiser leurs faucilles. On les appellera destructeurs et contempteurs du bien et du mal. Mais ce seront eux qui moissonneront et qui seront en fête.
Des créateurs comme lui, voilà ce que cherche Zarathoustra, de ceux qui moissonnent et ch?ment avec lui: qu'a-t-il à faire de troupeaux, de bergers et de cadavres!
Et toi, mon premier compagnon, repose en paix! Je t'ai bien enseveli dans ton arbre creux, je t'ai bien abrité contre les loups.
Mais je me sépare de toi, te temps est passé. Entre deux aurores une nouvelle vérité s'est levée en moi.
Je ne dois être ni berger, ni fossoyeur. Jamais plus je ne parlerai au peuple; pour la dernière fois j'ai parlé à un mort.
Je veux me joindre aux créateurs, à ceux qui moissonnent et ch?ment: je leur montrerai l'arc-en-ciel et tous les échelons qui mènent au Surhumain. Je chanterai mon chant aux solitaires et à ceux qui sont deux dans la solitude; et quiconque a des oreilles pour les choses inou?es, je lui alourdirai le coeur de ma félicité.
Je marche vers mon but, je suis ma route; je sauterai par-dessus les hésitants et les retardataires. Ainsi ma marche sera le déclin!
10.
Zarathoustra avait dit cela à son coeur, alors que le soleil était à son midi: puis il interrogea le ciel du regard - car il entendait au-dessus de lui le cri per?ant d'un oiseau. Et voici! Un aigle planait dans les airs en larges cercles, et un serpent était suspendu à lui, non pareil à une proie, mais comme un ami: car il se sentait enroulé autour de son cou.
"Ce sont mes animaux! dit Zarathoustra, et il se réjouit de tout coeur.
L'animal le plus fier qu'il y ait sous le soleil et l'animal le plus rusé qu'il y ait sous le soleil - ils sont allés
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