fut juste à c?té de lui que tomba le corps, déchiré et brisé, mais vivant encore. Au bout d'un certain temps la conscience revint au blessé, et il vit Zarathoustra, agenouillé auprès de lui: "Que fais-tu là, dit-il enfin, je savais depuis longtemps que le diable me mettrait le pied en travers. Maintenant il me tra?ne en enfer: veux-tu l'en empêcher?"
"Sur mon honneur, ami, répondit Zarathoustra, tout ce dont tu parles n'existe pas: il n'y a ni diable, ni enfer. Ton ame sera morte, plus vite encore que ton corps: ne crains donc plus rien!"
L'homme leva les yeux avec défiance. "Si tu dis vrai, répondit-il ensuite, je ne perds rien en perdant la vie. Je ne suis guère plus qu'une bête qu'on a fait danser avec des coups et de maigres nourritures."
"Non pas, dit Zarathoustra, tu as fait du danger ton métier, il n'y a là rien de méprisable. Maintenant ton métier te fait périr: c'est pourquoi je vais t'enterrer de mes mains."
Quand Zarathoustra eut dit cela, le moribond ne répondit plus; mais il remua la main, comme s'il cherchait la main de Zarathoustra pour le remercier.
7.
Cependant le soir tombait et la place publique se voilait d'ombres: alors la foule commen?a à se disperser, car la curiosité et la frayeur mêmes se fatiguent. Zarathoustra, assis par terre à c?té du mort, était noyé dans ses pensées: ainsi il oubliait le temps. Mais, enfin, la nuit vint et un vent froid passa sur le solitaire. Alors Zarathoustra se leva et il dit à son coeur:
"En vérité, Zarathoustra a fait une belle pêche aujourd'hui! Il n'a pas attrapé d'homme, mais un cadavre.
Inquiétante est la vie humaine et, de plus, toujours dénuée de sens: un bouffon peut lui devenir fatal.
Je veux enseigner aux hommes le sens de leur existence: qui est le Surhumain, l'éclair du sombre nuage homme.
Mais je suis encore loin d'eux et mon esprit ne parle pas à leurs sens. Pour les hommes, je tiens encore le milieu entre un fou et un cadavre.
Sombre est la nuit, sombres sont les voies de Zarathoustra. Viens, compagnon rigide et glacé! Je te porte à l'endroit où je vais t'enterrer de mes mains."
8.
Quand Zarathoustra eut dit cela à son coeur, il chargea le cadavre sur ses épaules et se mit en route. Il n'avait pas encore fait cent pas qu'un homme se glissa auprès de lui et lui parla tout bas à l'oreille - et voici! celui qui lui parlait était le bouffon de la tour.
"Va-t'en de cette ville, ? Zarathoustra, dit-il, il y a ici trop de gens qui te ha?ssent. Les bons et les justes te ha?ssent et ils t'appellent leur ennemi et leur contempteur; les fidèles de la vraie croyance te ha?ssent et ils t'appellent un danger pour la foule. Ce fut ton bonheur qu'on se moquat de toi, car vraiment tu parlais comme un bouffon. Ce fut ton bonheur de t'associer au chien mort; en t'abaissant ainsi, tu t'es sauvé pour cette fois-ci. Mais va-t'en de cette ville - sinon demain je sauterai par-dessus un mort."
Après avoir dit ces choses, l'homme disparut; et Zarathoustra continua son chemin par les rues obscures.
A la porte de la ville il rencontra les fossoyeurs: ils éclairèrent sa figure de leur flambeau, reconnurent Zarathoustra et se moquèrent beaucoup de lui. "Zarathoustra emporte le chien mort: bravo, Zarathoustra s'est fait fossoyeur! Car nous avons les mains trop propres pour ce gibier. Zarathoustra veut-il donc voler sa pature au diable? Allons! Bon appétit! Pourvu que le diable ne soit pas plus habile voleur que Zarathoustra! - il les volera tous deux, il les mangera tous deux!" Et ils riaient entre eux en rapprochant leurs têtes.
Zarathoustra ne répondit pas un mot et passa son chemin. Lorsqu'il eut marché pendant deux heures, le long des bois et des marécages, il avait tellement entendu hurler des loups affamés que la faim s'était emparée de lui. Aussi s'arrêta-t-il à une maison isolée, où br?lait une lumière.
"La faim s'empare de moi comme un brigand, dit Zarathoustra? Au milieu des bois et des marécages la faim s'empare de moi, dans la nuit profonde.
Ma faim a de singuliers caprices. Souvent elle ne me vient qu'après le repas, et aujourd'hui elle n'est pas venue de toute la journée: où donc s'est elle attardée?"
En parlant ainsi, Zarathoustra frappa à la porte de la maison. Un vieil homme parut aussit?t: il portait une lumière et demanda: "Qui vient vers moi et vers mon mauvais sommeil?"
"Un vivant et un mort, dit Zarathoustra. Donnez-moi à manger et à boire, j'ai oublié de le faire pendant le jour. Qui donne à manger aux affamés réconforte sa propre ame: ainsi parle la sagesse."
Le vieux se retire, mais il revint aussit?t, et offrit à Zarathoustra du pain et du vin: "C'est une méchante contrée pour ceux qui ont faim, dit-il; c'est pourquoi
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.