Adolphe | Page 2

Benjamin Constant
vie r��elle que dans le coeur, d'int��r��t profond que dans l'affection, sans activit�� qui les occupe, et sans carri��re qui les commande, confiantes par nature, cr��dules par une excusable vanit��, sentant que leur seule existence est de se livrer sans r��serve �� un protecteur, et entra?n��es sans cesse �� confondre le besoin d'appui et le besoin d'amour!
Je ne parle pas des malheurs positifs qui r��sultent de liaisons form��es et rompues, du bouleversement des situations, de la rigueur des jugements publics, et de la malveillance de cette soci��t�� implacable, qui semble avoir trouv�� du plaisir �� placer les femmes sur un ab?me pour les condamner, si elles y tombent. Ce ne sont l�� que des maux vulgaires. Je parle de ces souffrances du coeur, de cet ��tonnement douloureux d'une ame tromp��e, de cette surprise avec laquelle elle apprend que l'abandon devient un tort, et les sacrifices des crimes aux yeux m��mes de celui qui les re?ut. Je parle de cet effroi qui la saisit, quand elle se voit d��laiss��e par celui qui jurait de la prot��ger; de cette d��fiance qui succ��de �� une confiance si enti��re, et qui, forc��e �� se diriger contre l'��tre qu'on ��levait au-dessus de tout, s'��tend par l�� m��me au reste du monde. Je parle de cette estime refoul��e sur elle-m��me, et qui ne sait o�� se placer.
Pour les hommes m��mes, il n'est pas indiff��rent de faire ce mal. Presque tous se croient bien plus mauvais, plus l��gers qu'ils ne sont. Ils pensent pouvoir rompre avec facilit�� le lien qu'ils contractent avec insouciance. Dans le lointain, l'image de la douleur para?t vague et confuse, telle qu'un nuage qu'ils traverseront sans peine. Une doctrine de fatuit��, tradition funeste, que l��gue �� la vanit�� de la g��n��ration qui s'��l��ve la corruption de la g��n��ration qui a vieilli, une ironie devenue triviale, mais qui s��duit l'esprit par des r��dactions piquantes, comme si les r��dactions changeaient le fond des choses, tout ce qu'ils entendent, en un mot; et tout ce qu'ils disent, semble les armer contre les larmes qui ne coulent pas encore. Mais lorsque ces larmes coulent, la nature revient en eux, malgr�� l'atmosph��re factice dont ils s'��taient environn��s. Ils sentent qu'un ��tre qui souffre par ce qu'il aime est sacr��. Ils sentent que dans leur coeur m��me qu'ils ne croyaient pas avoir mis de la partie, se sont enfonc��es les racines du sentiment qu'ils ont inspir��, et s'ils veulent dompter ce que par habitude ils nomment faiblesse, il faut qu'ils descendent dans ce coeur mis��rable, qu'ils y froissent ce qu'il y a de g��n��reux, qu'ils y brisent ce qu'il y a de fid��le, qu'ils y tuent ce qu'il y a de bon. Ils r��ussissent, mais en frappant de mort une portion de leur ame, et ils sortent de ce travail ayant tromp�� la confiance, brav�� la sympathie, abus�� de la faiblesse, insult�� la morale en la rendant l'excuse de la duret��, profan�� toutes les expressions et foul�� aux pieds tous les sentiments. Ils survivent ainsi �� leur meilleure nature, pervertis par leur victoire, ou honteux de cette victoire, si elle ne les a pas pervertis.
Quelques personnes m'ont demand�� ce qu'aurait d? faire Adolphe, pour ��prouver et causer moins de peine? Sa position et celle d'Ell��nore ��taient sans ressource, et c'est pr��cis��ment ce que j'ai voulu. Je l'ai montr�� tourment��, parce qu'il n'aimait que faiblement Ell��nore; mais il n'e?t pas ��t�� moins tourment��, s'il l'e?t aim��e davantage. Il souffrait par elle, faute de sentiments: avec un sentiment plus passionn��, il e?t souffert pour elle. La soci��t��, d��sapprobatrice et d��daigneuse, aurait vers�� tous ses venins sur l'affection que son aveu n'e?t pas sanctionn��e: C'est ne pas commencer de telles liaisons qu'il faut pour le bonheur de la vie: quand on est entr�� dans cette route, on n'a plus que le choix des maux.
PR��FACE DE LA TROISI��ME ��DITION
Ce n'est pas sans quelque h��sitation que j'ai consenti �� la r��impression de ce petit ouvrage, publi�� il y a dix ans. Sans la presque certitude qu'on voulait en faire une contrefa?on en Belgique, et que cette contrefa?on, comme la plupart de celles que r��pandent en Allemagne et qu'introduisent en France les contrefacteurs belges, serait grossie d'additions et d'interpolations auxquelles je n'aurais point eu de part, je ne me serais jamais occup�� de cette anecdote, ��crite dans l'unique pens��e de convaincre deux ou trois amis r��unis �� la campagne de la possibilit�� de donner une sorte d'int��r��t �� un roman dont les personnages se r��duiraient �� deux, et dont la situation serait toujours la m��me.
Une fois occup�� de ce travail, j'ai voulu d��velopper quelques autres id��es qui me sont survenues et ne m'ont pas sembl�� sans une certaine utilit��. J'ai voulu peindre le mal que font ��prouver m��me aux coeurs arides les souffrances qu'ils causent, et cette illusion qui les porte �� se croire plus
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