M. Victor Hugo ne pourrait être posée qu'au
président de la République, et excède la compétence des ministres.»
«Une certaine agitation a suivi cette réponse. MM. Valentin, Ribière,
Lepetit et d'autres encore se sont vivement récriés.
«M. Victor Hugo a repris la parole en ces termes:
Vous venez d'entendre la réponse de M. le ministre. Eh bien! je vais
répliquer à l'honorable M. de Meaux par un fait qui est presque pour lui
un fait personnel.
Un homme qui lui touche de très près, orateur considérable de la droite,
dont j'avais été l'ami à la chambre des pairs et dont j'étais l'adversaire à
l'assemblée législative, M. de Montalembert, après la crise de juillet
1851, s'émut, bien qu'allié momentané de l'Élysée, des intentions qu'on
prêtait au président, M. Louis Bonaparte, lequel protestait du reste de sa
loyauté.
M. de Montalembert, alors, se souvenant de notre ancienne amitié, me
pria de faire, en mon nom et au sien, au ministre Baroche, la question
que je viens de faire tout à l'heure à M. de Meaux.... (Profond
mouvement d'attention.) Et le ministre d'alors fit à cette question
identiquement la même réponse que le ministre d'aujourd'hui.
Trois mois après, éclatait ce crime qui s'appellera dans l'histoire le 2
décembre.
«Une vive émotion succède à ces paroles.
«Aucune réplique de M. de Meaux. Exclamations des sénateurs
présents.
«Le président du bureau, M. Batbie, fait, tardivement, remarquer que
les interpellations aux ministres ne sont d'usage qu'en séance publique;
dans les bureaux, il n'y a pas de ministre; un membre parle à un
membre, un collègue à un collègue; et M. Victor Hugo ne peut pas
exiger de M. de Meaux une autre réponse que celle qui lui a été faite.
«--Je m'en contente! s'écrie M. Victor Hugo.
«Et les quinze membres de la gauche applaudissent.»
Séance publique du sénat.
--12 JUIN 1877.--
Messieurs,
Un conflit éclate entre deux pouvoirs. Il appartient au sénat de les
départager. C'est aujourd'hui que le sénat va être juge.
Et c'est aujourd'hui que le sénat va être jugé. (Applaudissements à
gauche.)
Car si au-dessus du gouvernement il y a le sénat, au-dessus du sénat il y
a la nation.
Jamais situation n'a été plus grave.
Il dépend aujourd'hui du sénat de pacifier la France ou de la troubler.
Et pacifier la France, c'est rassurer l'Europe; et troubler la France, c'est
alarmer le monde.
Cette délivrance ou cette catastrophe dépendent du sénat.
Messieurs, le sénat va aujourd'hui faire sa preuve. Le sénat aujourd'hui
peut être fondé par le sénat. (Bruit à droite.--Approbation à droite.)
L'occasion est unique, vous ne la laisserez pas échapper.
Quelques publicistes doutent que le sénat soit utile; montrez que le
sénat est nécessaire.
La France est en péril, venez au secours de la France. (Bravos a
gauche.)
Messieurs, le passé donne quelquefois des renseignements. De certains
crimes, que l'histoire n'oublie pas, ont des reflets sinistres, et l'on dirait
qu'ils éclairent confusément les événements possibles.
Ces crimes sont derrière nous, et par moments nous croyons les revoir
devant nous.
Il y a parmi vous, messieurs, des hommes qui se souviennent.
Quelquefois se souvenir, c'est prévoir. (Applaudissements à gauche.)
Ces hommes ont vu, il y a vingt-six ans, ce phénomène:
Une grande nation qui ne demande que la paix, une nation qui sait ce
qu'elle veut, qui sait d'où elle vient et qui a droit de savoir où elle va,
une nation qui ne ment pas, qui ne cache rien, qui n'élude rien, qui ne
sous-entend rien, et qui marche dans la voie du progrès droit devant elle
et à visage découvert, la France, qui a donné à l'Europe quatre illustres
siècles de philosophie et de civilisation, qui a proclamé par Voltaire la
liberté religieuse (Protestations à droite, vive approbation à gauche) et
par Mirabeau la liberté politique; la France qui travaille, qui enseigne,
qui fraternise, qui a un but, le bien et qui le dit, qui a un moyen, le juste,
et qui le déclare, et, derrière cet immense pays en pleine activité, en
pleine bonne volonté, en pleine lumière, un gouvernement masqué.
(Applaudissements prolongés à gauche. Réclamations à droite.)
Messieurs, nous qui avons vu cela, nous sommes pensifs aujourd'hui,
nous regardons avec une attention profonde ce qui semble être devant
nous: une audace qui hésite, des sabres qu'on entend traîner, des
protestations de loyauté qui ont un certain son de voix; nous
reconnaissons le masque. (Sensation.)
Messieurs, les vieillards sont des avertisseurs. Ils ont pour fonction de
décourager les choses mauvaises et de déconseiller les choses
périlleuses. Dire des paroles utiles, dussent-elles paraître inutiles, c'est
là leur dignité et leur tristesse. (Très bien! à gauche.)
Je ne demande pas mieux que de croire à la loyauté, mais je me
souviens qu'on y a déjà cru. (C'est vrai! à gauche.) Ce n'est pas ma
faute si je me souviens. Je vois des
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