suffirait pour tout embraser; le gouvernement secoue la
torche. (Sensation profonde.)
Oui, gouvernement d'aventure. Je ne veux pas, pour l'instant, le
qualifier plus sévèrement, espérant toujours que le pouvoir se sentira
averti par l'énormité de certains souvenirs, et qu'il s'arrêtera. Je
recommande au pouvoir personnel la lecture attentive de la constitution.
(Mouvement.)
Il y a là sur la responsabilité plusieurs articles sérieux.
J'en pourrais dire davantage. Mais je me borne à ces quelques paroles.
J'ai une fonction comme sénateur et une mission comme citoyen; je ne
faillirai ni à l'une ni à l'autre.
Vous, mes collègues, vous résisterez vaillamment, je le sais et je le
déclare, aux empiétements illégaux et aux usurpations
inconstitutionnelles. Surveillons plus que jamais le pouvoir. Dans la
situation où nous sommes, souvenez-vous de ceci: toute la défiance que
vous montrerez au nouveau ministère, vous sera rendue en confiance
par la nation.
Messieurs, rassurons la France, rassurons-la dans le présent,
rassurons-la dans l'avenir.
La république est une délivrance définitive. Espérance est un des noms
de la liberté. Aucun piège ne réussira. La vérité et la raison prévaudront.
La justice triomphera de la magistrature. La conscience humaine
triomphera du clergé. La souveraineté nationale triomphera des
dictatures, cléricales ou soldatesques.
La France peut compter sur nous, et nous pouvons compter sur elle.
Soyons fidèles à tous nos devoirs, et à tous nos droits. (Adhésion
unanime.--Applaudissements prolongés.)
II
LA DISSOLUTION
La prorogation d'un mois expirée, le maréchal de Mac-Mahon adresse,
le 17 juin, un message au sénat, lui demandant, aux termes de la
constitution, de prononcer avec le président de la République, la
dissolution de la chambre des députés.
La chambre des députés réplique aussitôt par un ordre du jour déclarant
que «le ministère n'a pas la confiance de la nation». Cet ordre du jour
est voté par 363 voix contre 158.
Le 21 juin, les bureaux du sénat se réunissent pour nommer la
commission chargée du rapport sur la demande de dissolution.
Dans le quatrième bureau, dont Victor Hugo fait partie, se passe
l'incident suivant, rapporté ainsi par le Rappel.
Réunion dans les bureaux du sénat.
«Il s'est produit, au 4e bureau, un incident qui a causé une vive
émotion.
«M. Victor Hugo fait partie de ce bureau. M. le vicomte de Meaux,
ministre du commerce, en fait également partie.
«La discussion s'est ouverte sur le projet de dissolution.
«Après des discours de MM. Bertauld et de Lasteyrie contre le projet et
de MM. de Meaux et Depeyre pour, la séance semblait terminée,
lorsque M. Victor Hugo a demandé la parole.
«Il a dit:
J'ai gardé le silence jusqu'à ce moment, et j'étais résolu à ne point
intervenir dans le débat, espérant qu'une question essentielle serait
posée, et aimant mieux qu'elle le fût par d'autres que par moi.
Cette question n'a pas été posée. Je vois que la séance va se clore, et je
crois de mon devoir de parler. Je désire n'être point nommé
commissaire, et je prie mes amis de voter, comme je le ferai moi-même,
pour notre honorable collègue, M. Bertauld.
Cela dit, et absolument désintéressé dans le vote qui va suivre, j'entre
dans ce qui est pour moi la question nécessaire et immédiate.
Un ministre est ici présent. Je profite de sa présence, c'est à lui que je
parle, et voici ce que j'ai à dire à M. le ministre du commerce:
Il est impossible que le président de la République et les membres du
cabinet nouveau n'aient point examiné entre eux une éventualité, qui est
pour nous une certitude: le cas où, dans trois mois, la chambre, dissoute
aujourd'hui, reviendrait augmentée en nombre dans le sens républicain,
et, ce qui est une augmentation plus grande encore, accrue en autorité et
en puissance par son mandat renouvelé et par le vote décisif de la
France souveraine.
En présence de cette chambre, qui sera à la fois la chambre ancienne,
répudiée par le pouvoir personnel, et la chambre nouvelle, voulue par la
souveraineté nationale, que fera le gouvernement? quels plans a-t-il
arrêtés? quelle conduite compte-t-il suivre? Le président fera-t-il
simplement son devoir, qui est de se retirer et d'obéir à la nation, et les
ministres disparaîtront-ils avec lui? En un mot, quelle est la résolution
du président et de son cabinet, dans le cas grave que je viens
d'indiquer?
Je pose cette question au membre du cabinet ici présent. Je la pose
catégoriquement et absolument. Aucun faux-fuyant n'est possible: ou le
ministre me répondra, et j'enregistrerai sa réponse; ou il refusera de
répondre, et je constaterai son silence. Dans les deux cas, mon but sera
atteint; et, que le ministre parle ou qu'il se taise, l'espèce de clarté que je
désire, je l'aurai.
«Sur ces paroles, au milieu du profond silence et de l'attente unanime
des sénateurs, M. de Meaux s'est levé. Voici sa réponse:
«La question posée par
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