Au-dessous du grondement bestial de la guerre déchaînée il y a sept ans 
par deux empereurs, au-dessous des menaces de carnage et de 
dévastation à chaque instant renouvelées, quelquefois même réalisées 
en partie, témoin l'assassinat de la Bulgarie par la Turquie, au-dessous 
de la mobilisation des armées, au-dessous de tout ce sombre tumulte 
militaire, on sent une immense volonté de paix. 
Je le répète et j'y insiste, qui veut la guerre? Les rois. Qui veut la paix? 
Les peuples. 
Il semble qu'en ce moment une bataille étrange se prépare entre la 
guerre, qui est la volonté du passé, et la paix, qui est la volonté du 
présent. (Applaudissements.) 
Citoyens, la paix vaincra. 
Ce triomphe de l'avenir, il est visible dès aujourd'hui, il approche, nous 
y touchons. Il s'appellera l'Exposition de 1878. Qu'est-ce en effet 
qu'une Exposition internationale? C'est la signature de tous les peuples 
mise au bas d'un acte de fraternité. C'est le pacte des industries 
s'associant aux arts, des sciences encourageant les découvertes, des 
produits s'échangeant avec les idées, du progrès multipliant le bien-être, 
de l'idéal s'accouplant au réel. C'est la communion des nations dans 
l'harmonie qui sort du travail. Lutte, si l'on veut, mais lutte féconde; 
éblouissante mêlée des travailleurs qui laisse derrière elle, non la mort, 
mais la vie, non des cadavres, mais des chefs-d'oeuvre; bataille superbe 
où il n'y a que des vainqueurs. (Longs applaudissements.) 
Ce spectacle splendide, il est juste que ce soit Paris qui le donne au 
monde. 
1870, c'est-à-dire le guet-apens de la guerre, a été le fait de la Prusse; 
1878, c'est-à-dire la victoire de la paix, sera la réplique de la France. 
L'Exposition universelle de 1878, ce sera la guerre mise en déroute par
la paix. 
Ce sera la réconciliation avec Paris, dont l'univers a besoin. 
La paix, c'est le verbe de l'avenir, c'est l'annonce des États-Unis de 
l'Europe, c'est le nom de baptême du vingtième siècle. Ne nous lassons 
pas, nous les philosophes, de déclarer au monde la paix. Faisons sortir 
de ce mot suprême tout ce qu'il contient. 
Disons-le, ce qu'il faut à la France, à l'Europe, au monde civilisé, ce qui 
est dès à présent réalisable, ce que nous voulons, le voici: les religions 
sans l'intolérance, c'est-à-dire la raison remplaçant le dogmatisme; la 
pénalité sans la mort, c'est-à-dire la correction remplaçant la vindicte; 
le travail sans l'exploitation, c'est-à-dire le bien-être remplaçant le 
malaise; la circulation sans la frontière, c'est-à-dire la liberté 
remplaçant la ligature; les nationalités sans l'antagonisme, c'est-à-dire 
l'arbitrage remplaçant la guerre (mouvement); en un mot, tous les 
désarmements, excepté le désarmement de la conscience. (Bravos 
répétés.) 
Ah! cette exception-là, je la maintiens. Car tant que la politique 
contiendra la guerre, tant que la pénalité contiendra l'échafaud, tant que 
le dogme contiendra l'enfer, tant que la force sociale sera comminatoire, 
tant que le principe, qui est le droit, sera distinct du fait, qui est le code, 
tant que l'indissoluble sera dans la loi civile et l'irréparable dans la loi 
criminelle, tant que la liberté pourra être garrottée, tant que la vérité 
pourra être bâillonnée, tant que le juge pourra dégénérer en bourreau, 
tant que le chef pourra dégénérer en tyran, tant que nous aurons pour 
précipices des abîmes creusés par nous-mêmes, tant qu'il y aura des 
opprimés, des exploités, des accablés, des justes qui saignent, des 
faibles qui pleurent, il faut, citoyens, que la conscience reste armée. 
(Applaudissements prolongés.) 
La conscience armée, c'est Juvénal terrible, c'est Tacite pensif, c'est 
Dante flétrissant Boniface, c'est-à-dire l'homme probe châtiant l'homme 
infaillible, c'est Voltaire vengeant Calas, c'est-à-dire la justice rappelant 
à l'ordre la magistrature. (Sensation. Triple salve d'applaudissements.) 
La conscience armée, c'est le droit incorruptible faisant obstacle à la loi
inique, c'est la philosophie supprimant la torture, c'est la tolérance 
abolissant l'inquisition, c'est le jour vrai remplaçant dans les âmes le 
jour faux, c'est la clarté de l'aurore substituée à la lueur des bûchers. 
Oui, la conscience reste et restera armée, Juvénal et Tacite resteront 
debout, tant que l'histoire nous montrera la justice humaine satisfaite de 
son peu de ressemblance avec la justice divine, tant que la raison d'état 
sera en colère, tant qu'un épouvantable vae victis régnera, tant qu'on 
écoutera un cri de clémence comme on écouterait un cri séditieux, tant 
qu'on refusera de faire tourner sur ses gonds la seule porte qui puisse 
fermer la guerre civile, l'amnistie! (Profonde 
émotion.--Applaudissements prolongés.) 
Cela dit, je conclus. Et je conclus par l'espérance. 
Ayons une foi absolue dans la patrie. La destinée de la France fait 
partie de l'avenir humain. Depuis trois siècles la lumière du monde est 
française. Le monde ne changera pas de flambeau. 
Pourtant, généreux patriotes qui m'écoutez, ne croyez pas que je pousse 
l'espérance jusqu'à l'illusion. Ma foi en la France est filiale, et par 
conséquent passionnée, mais elle est philosophique, et par conséquent 
réfléchie. Messieurs, ma parole est sincère,    
    
		
	
	
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