Vous
donnez là un noble exemple. La civilisation vous remercie.
Nous vivons dans un temps où il est nécessaire d'accomplir d'éclatantes
actions de fraternité. D'abord, parce qu'il est toujours bon de faire le
bien; ensuite, parce que le passé ne veut pas se résigner à disparaître,
parce qu'en présence de l'avenir, qui apporte aux nations la fédération et
la concorde, le passé tâche de réveiller la haine. (Applaudissements).
Répondons à la haine par la solidarité et par l'union.
Messieurs, je ne prononcerai que des paroles austères et graves. Avoir
devant soi le peuple de Paris, c'est un suprême honneur, et l'on n'en est
digne qu'à la condition d'avoir en soi la droiture. Et j'ajoute, la
modération. Car, si la droiture est la puissance, la modération est la
force.
Maintenant, et sous ces réserves, trouvez bon que je vous dise ma
pensée entière.
A l'heure où nous sommes, le monde est en proie à deux efforts
contraires.
Un mot suffit pour caractériser cette heure étrange. A quoi songent les
rois? A la guerre. A quoi songent les peuples? A la paix.
(Applaudissements prolongés.)
L'agitation fiévreuse des gouvernements a pour contraste et pour leçon
le calme des nations. Les princes arment, les peuples travaillent. Les
peuples s'aiment et s'unissent. Aux rois préméditant et préparant des
événements violents, les peuples opposent la grandeur des actions
paisibles.
Majestueuse résistance.
Les populations s'entendent, s'associent, s'entr'aident.
Ainsi, voyez:
Lyon souffre, Paris s'émeut.
Que le patriotique auditoire ici rassemblé me permette de lui parler de
Lyon.
Lyon est une glorieuse ville, une ville laborieuse et militante.
Au-dessus de Lyon, il n'y a que Paris. A ne voir que l'histoire, on
pourrait presque dire que c'est à Lyon que la France est née. Lyon est
un des plus antiques berceaux du fait moderne; Lyon est le lieu
d'inoculation de la démocratie latine à la théocratie celtique; c'est à
Lyon que la Gaule s'est transformée et transfigurée jusqu'à devenir
l'héritière de l'Italie; Lyon est le point d'intersection de ce qui a été jadis
Rome et de ce qui est aujourd'hui la France.--Lyon a été notre premier
centre. Agrippa a fait de Lyon le noeud des chemins militaires de la
Gaule, et ce procédé péremptoire de civilisation a été imité depuis par
les routes stratégiques de la Vendée. Comme toutes les cités
prédestinées, la ville de Lyon a été éprouvée; au deuxième siècle par
l'incendie, au cinquième siècle par l'inondation, au dix-septième siècle
par la peste. Fait que l'histoire doit noter, Néron, qui avait brûlé Rome,
a rebâti Lyon. Lyon, historiquement illustre, n'est pas moins illustre
politiquement. Aujourd'hui, entre toutes les villes d'Europe, Lyon
représente l'initiative ingénieuse, le labeur puissant, opiniâtre et fécond,
l'invention dans l'industrie, l'effort du bien vers le mieux, et cette chose
touchante et sublime,--car l'ouvrier de Lyon souffre,--la pauvreté créant
la richesse. (Mouvement.) Oui, citoyens, j'y insiste, la vertu qui est dans
le travail, l'intuition sociale qui connaît et qui réclame sans relâche la
quantité acceptable des révolutions, l'esprit d'aventure pour le progrès,
ce je ne sais quoi d'infatigable qu'on a quand on porte en soi l'avenir,
voilà ce qui caractérise la France, voilà ce qui caractérise Lyon. Lyon a
été la métropole des Gaule, et l'est encore, avec l'accroissement
démocratique. C'est la ville du métier, c'est la ville de l'art, c'est la ville
où la machine obéit à l'âme, c'est la ville où dans l'ouvrier il y a un
penseur, et où Jacquard se complète par Voltaire. (Applaudissements.)
Lyon est la première de nos villes; car Paris est autre chose, Paris
dépasse les proportions d'une nation; Lyon est essentiellement la cité
française, et Paris est la cité humaine. C'est pourquoi l'assistance que
Paris offre à Lyon est un admirable spectacle; on pourrait dire que
Lyon assisté par Paris, c'est la capitale de la France secourue par la
capitale du monde. (Bravos.)
Glorifions ces deux villes. Dans un moment où les partis du passé
semblent conspirer la diminution de la France, et essayent de détrôner
le chef-lieu de la révolution au profit du chef-lieu de la monarchie, il
est bon d'affirmer les grandes réalités de la civilisation française,
c'est-à-dire Lyon, la ville du travail, et Paris, la ville de la lumière.
(Sensation. Bravos répétés.)
Autour de ces deux capitales se groupent toutes nos illustres villes,
leurs soeurs ou leurs filles, et parmi elles cette admirable Marseille qui
veut une place à part, car elle représente en France la Grèce de même
que Lyon représente l'Italie.
Mais élargissons l'horizon, regardons l'Europe, regardons les nations, et,
en même temps que nous démontrons la solidarité de nos villes,
constatons, citoyens, au profit de la civilisation, tous les symptômes de
la concorde humaine.
Ces symptômes éclatent de toutes parts.
Comme je le disais en commençant, à l'heure troublée où nous sommes,
les phénomènes inquiétants viennent des rois, les phénomènes
rassurants viennent des peuples.
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