à l'heure à M. de Meaux.... (Profond mouvement d'attention.) Et le ministre d'alors fit à cette question identiquement la même réponse que le ministre d'aujourd'hui.
Trois mois après, éclatait ce crime qui s'appellera dans l'histoire le 2 décembre.
?Une vive émotion succède à ces paroles.
?Aucune réplique de M. de Meaux. Exclamations des sénateurs présents.
?Le président du bureau, M. Batbie, fait, tardivement, remarquer que les interpellations aux ministres ne sont d'usage qu'en séance publique; dans les bureaux, il n'y a pas de ministre; un membre parle à un membre, un collègue à un collègue; et M. Victor Hugo ne peut pas exiger de M. de Meaux une autre réponse que celle qui lui a été faite.
?--Je m'en contente! s'écrie M. Victor Hugo.
?Et les quinze membres de la gauche applaudissent.?
Séance publique du sénat.
--12 JUIN 1877.--
Messieurs,
Un conflit éclate entre deux pouvoirs. Il appartient au sénat de les départager. C'est aujourd'hui que le sénat va être juge.
Et c'est aujourd'hui que le sénat va être jugé. (Applaudissements à gauche.)
Car si au-dessus du gouvernement il y a le sénat, au-dessus du sénat il y a la nation.
Jamais situation n'a été plus grave.
Il dépend aujourd'hui du sénat de pacifier la France ou de la troubler.
Et pacifier la France, c'est rassurer l'Europe; et troubler la France, c'est alarmer le monde.
Cette délivrance ou cette catastrophe dépendent du sénat.
Messieurs, le sénat va aujourd'hui faire sa preuve. Le sénat aujourd'hui peut être fondé par le sénat. (Bruit à droite.--Approbation à droite.)
L'occasion est unique, vous ne la laisserez pas échapper.
Quelques publicistes doutent que le sénat soit utile; montrez que le sénat est nécessaire.
La France est en péril, venez au secours de la France. (Bravos a gauche.)
Messieurs, le passé donne quelquefois des renseignements. De certains crimes, que l'histoire n'oublie pas, ont des reflets sinistres, et l'on dirait qu'ils éclairent confusément les événements possibles.
Ces crimes sont derrière nous, et par moments nous croyons les revoir devant nous.
Il y a parmi vous, messieurs, des hommes qui se souviennent. Quelquefois se souvenir, c'est prévoir. (Applaudissements à gauche.)
Ces hommes ont vu, il y a vingt-six ans, ce phénomène:
Une grande nation qui ne demande que la paix, une nation qui sait ce qu'elle veut, qui sait d'où elle vient et qui a droit de savoir où elle va, une nation qui ne ment pas, qui ne cache rien, qui n'élude rien, qui ne sous-entend rien, et qui marche dans la voie du progrès droit devant elle et à visage découvert, la France, qui a donné à l'Europe quatre illustres siècles de philosophie et de civilisation, qui a proclamé par Voltaire la liberté religieuse (Protestations à droite, vive approbation à gauche) et par Mirabeau la liberté politique; la France qui travaille, qui enseigne, qui fraternise, qui a un but, le bien et qui le dit, qui a un moyen, le juste, et qui le déclare, et, derrière cet immense pays en pleine activité, en pleine bonne volonté, en pleine lumière, un gouvernement masqué. (Applaudissements prolongés à gauche. Réclamations à droite.)
Messieurs, nous qui avons vu cela, nous sommes pensifs aujourd'hui, nous regardons avec une attention profonde ce qui semble être devant nous: une audace qui hésite, des sabres qu'on entend tra?ner, des protestations de loyauté qui ont un certain son de voix; nous reconnaissons le masque. (Sensation.)
Messieurs, les vieillards sont des avertisseurs. Ils ont pour fonction de décourager les choses mauvaises et de déconseiller les choses périlleuses. Dire des paroles utiles, dussent-elles para?tre inutiles, c'est là leur dignité et leur tristesse. (Très bien! à gauche.)
Je ne demande pas mieux que de croire à la loyauté, mais je me souviens qu'on y a déjà cru. (C'est vrai! à gauche.) Ce n'est pas ma faute si je me souviens. Je vois des ressemblances qui m'inquiètent, non pour moi qui n'ai rien à perdre dans la vie et qui ai tout à gagner dans la mort, mais pour mon pays. Messieurs, vous écouterez l'homme en cheveux blancs qui a vu ce que vous allez revoir peut-être, qui n'a plus d'autre intérêt sur la terre que le v?tre, qui vous conseille tous avec droiture, amis et ennemis, et qui ne peut ni ha?r ni mentir, étant si près de la vérité éternelle. (Profonde sensation. Applaudissements prolongés.)
Vous allez entrer dans une aventure. Eh bien, écoutez celui qui en revient. (Mouvement.) Vous allez affronter l'inconnu, écoutez celui qui vous dit: l'inconnu, je le connais. Vous allez vous embarquer sur un navire dont la voile frissonne au vent, et qui va bient?t partir pour un grand voyage plein de promesses, écoutez celui qui vous dit: Arrêtez, j'ai fait ce naufrage-là. (Applaudissements.)
Je crois être dans le vrai. Puissé-je me tromper, et Dieu veuille qu'il n'y ait rien de cet affreux passé dans l'avenir!
Ces réserves faites,--et c'était mon devoir de les faire,--j'aborde le moment présent, tel qu'il appara?t et tel qu'il se montre, et je tacherai de ne rien dire qui
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