souvent nocturne. On pourrait dire que l'humanité est en pleine mer. Elle avance lentement, dans un roulis terrible, immense navire battu des vents. Il y a des instants sinistres. A de certains moments, la noirceur de l'horizon est profonde; il semble qu'on aille au hasard. Où? à l'ab?me. On rencontre un écueil, l'empire; on se heurte à un bas-fond, le Syllabus; on traverse un cyclone, Sedan (mouvement); l'année de l'infaillibilité du pape est l'année de la chute de la France; les ouragans et les tonnerres se mêlent; on a au-dessus de sa tête tout le passé en nuage et chargé de foudres; cet éclair, c'est le glaive; cet autre éclair, c'est le sceptre; ce grondement, c'est la guerre. Que va-t-on devenir? Va-t-on finir par s'entre-dévorer? En viendra-t-on à un radeau de la Méduse, à une lutte d'affamés et de naufragés, à la bataille dans la tempête? Est-ce qu'il est possible qu'on soit perdu? On lève les yeux. On cherche dans le ciel une indication, une espérance, un conseil. L'anxiété est au comble. Où est le salut? Tout à coup, la brume s'écarte, une lueur appara?t; il semble qu'une déchirure se fasse dans le noir complot des nuées, une trouée blanchit toute cette ombre, et, subitement, à l'horizon, au-dessus des gouffres, au delà des nuages, le genre humain frissonnant aper?oit cette haute clarté allumée il y a quatre vingts ans par des géants sur la cime du dix-huitième siècle, ce majestueux phare à feux tournants qui présente alternativement aux nations désemparées chacun des trois rayons dont se compose la civilisation future: Liberté, égalité, Fraternité. (Applaudissements prolongés.)
Liberté, cela s'adresse au peuple; égalité, cela s'adresse aux hommes; Fraternité, cela s'adresse aux ames.
Navigateurs en détresse, abordez à ce grand rivage, la République.
Le port est là. (Longue acclamation. Cris de: Vive la république! Vive l'amnistie! Vive Victor Hugo!)
II
LE SEIZE MAI
I
LA PROROGATION
Le 16 mai 1877, un essai préliminaire de coup d'état fut tenté par M. le maréchal de Mac-Mahon, président de la République. Brusquement il congédia, sur les plus futiles prétextes, le ministère républicain de M. Jules Simon, qui réunissait dans la chambre une majorité de deux cents voix. Le nouveau cabinet, sous la présidence de M. de Broglie, ne fut composé que de monarchistes.
Deux jours après, un décret du président de la République prorogeait le parlement pour un mois.
Aussit?t les gauches des deux chambres tinrent chacune leur réunion plénière et rédigèrent des déclarations collectives adressées au pays.
Dans la réunion des gauches du Sénat, Victor Hugo prit la parole:
Dans quelles circonstances l'événement qui nous préoccupe se produit-il?
Laissez-moi vous le dire. Deux choses me frappent.
Voici la première:
La France était en pleine paix, en pleine convalescence de ses derniers malheurs, en pleine possession d'elle-même; la France donnait au monde tous les grands exemples, l'exemple du travail, de l'industrie, du progrès sous toutes les formes; elle était superbe de tranquillité et d'activité; elle se préparait à convier tous les peuples chez elle; elle prenait l'initiative de l'Exposition universelle, et, meurtrie, mutilée, mais toujours grande, elle allait donner une fête à la civilisation. En ce moment-là, dans ce calme fécond et auguste, quelqu'un la trouble. Qui? Son gouvernement. Une sorte de déclaration de guerre est faite. A qui? A la France en paix. Par qui? Par le pouvoir. (Oui! oui!--Adhésion unanime.)
La seconde chose qui me frappe, la voici:
Si la France est en paix, l'Europe ne l'est pas. Si au dedans nous sommes tranquilles, au dehors nous sommes inquiets. Le continent prend feu. Deux empires se heurtent en orient; au nord, un autre empire guette; à c?té du nord, une puissante nation voisine fait son branle-bas de combat. Plus que jamais, il importe que la France, pour rester forte, reste paisible. Eh bien! c'est le moment qu'on choisit pour l'agiter! C'est pour le pays l'heure de la prudence; c'est pour le gouvernement l'heure des imprudences.
Ces deux grands faits, la paix en France, la guerre en Europe, exigeaient tous les deux un gouvernement sage. C'est l'instant que prend le gouvernement pour devenir un gouvernement d'aventure.
Une étincelle suffirait pour tout embraser; le gouvernement secoue la torche. (Sensation profonde.)
Oui, gouvernement d'aventure. Je ne veux pas, pour l'instant, le qualifier plus sévèrement, espérant toujours que le pouvoir se sentira averti par l'énormité de certains souvenirs, et qu'il s'arrêtera. Je recommande au pouvoir personnel la lecture attentive de la constitution. (Mouvement.)
Il y a là sur la responsabilité plusieurs articles sérieux.
J'en pourrais dire davantage. Mais je me borne à ces quelques paroles. J'ai une fonction comme sénateur et une mission comme citoyen; je ne faillirai ni à l'une ni à l'autre.
Vous, mes collègues, vous résisterez vaillamment, je le sais et je le déclare, aux empiétements illégaux et aux usurpations inconstitutionnelles. Surveillons plus que jamais le pouvoir. Dans la situation où nous sommes, souvenez-vous de ceci: toute la défiance que vous montrerez au nouveau ministère, vous sera rendue
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