Actes et Paroles, vol 3 | Page 5

Victor Hugo
insult�� et que ces mains noires de poudre n'avaient touch�� �� rien. Pas un objet pr��cieux ne manquait, pas un papier n'avait ��t�� d��rang��. Une seule chose avait disparu, la p��tition des marins du Havre.
[Note: Cette disparition s'est expliqu��e depuis. Le chef, Gobert, avait emport�� cette p��tition annot��e comme on vient de le voir, afin de montrer aux combattants �� quel point l'habitant de cette maison, tout en faisant contre l'insurrection sa mission de repr��sentant, ��tait un ami vrai du peuple.]
Vingt ans apr��s, le 27 mai 1871, voici ce qui se passait dans une autre grande place; non plus �� Paris, mais �� Bruxelles, non plus le jour, mais la nuit.
Un homme, un a?eul, avec une jeune m��re et deux petits enfants, habitait la maison num��ro 3 de cette place, dite place des Barricades; c'��tait le m��me qui avait habit�� le num��ro 6 de la place Royale �� Paris; seulement il n'��tait plus qualifi�� ?ancien pair de France?, mais ?ancien proscrit?; promotion due au devoir accompli.
Cet homme ��tait en deuil. Il venait de perdre son fils. Bruxelles le connaissait pour le voir passer dans les rues, toujours seul, la t��te pench��e, fant?me noir en cheveux blancs.
Il avait pour logis, nous venons de le dire, le num��ro 3 de la place des Barricades.
Il occupait, avec sa famille et trois servantes, toute la maison.
Sa chambre �� coucher, qui ��tait aussi son cabinet de travail, ��tait au premier ��tage et avait une fen��tre sur la place; au-dessous, au rez-de-chauss��e, ��tait le salon, ayant de m��me une fen��tre sur la place; le reste de la maison se composait des appartements des femmes et des enfants. Les ��tages ��taient fort ��lev��s; la porte de la maison ��tait contigu? �� la grande fen��tre du rez-de-chauss��e. De cette porte un couloir menait �� un petit jardin entour�� de hautes murailles au del�� duquel ��tait un deuxi��me corps de logis, inhabit�� �� cette ��poque �� cause des vides qui s'��taient faits dans la famille.
La maison n'avait qu'une entr��e et qu'une issue, la porte sur la place.
Les deux berceaux des petits enfants ��taient pr��s du lit de la jeune m��re, dans la chambre du second ��tage donnant sur la place, au-dessus de l'appartement de l'a?eul.
Cet homme ��tait de ceux qui ont l'ame habituellement sereine. Ce jour-l��, le 27 mai, cette s��r��nit�� ��tait encore augment��e en lui par la pens��e d'une chose fraternelle qu'il avait faite le matin m��me. L'ann��e 1871, on s'en souvient, a ��t�� une des plus fatales de l'histoire; on ��tait dans un moment lugubre. Paris venait d'��tre viol�� deux fois; d'abord par le parricide, la guerre de l'��tranger contre la France, ensuite par le fratricide, la guerre des fran?ais contre les fran?ais. Pour l'instant la lutte avait cess��; l'un des deux partis avait ��cras�� l'autre; on ne se donnait plus de coups de couteau, mais les plaies restaient ouvertes; et �� la bataille avait succ��d�� cette paix affreuse et gisante que font les cadavres �� terre et les flaques de sang fig��.
Il y avait des vainqueurs et des vaincus; c'est-��-dire d'un c?t�� nulle cl��mence, de l'autre nul espoir.
Un unanime vae victis retentissait dans toute l'Europe. Tout ce qui se passait pouvait se r��sumer d'un mot, une immense absence de piti��. Les furieux tuaient, les violents applaudissaient, les morts et les laches se taisaient. Les gouvernements ��trangers ��taient complices de deux fa?ons; les gouvernements tra?tres souriaient, les gouvernements abjects fermaient aux vaincus leur fronti��re. Le gouvernement catholique belge ��tait un de ces derniers. Il avait, d��s le 26 mai, pris des pr��cautions contre toute bonne action; et il avait honteusement et majestueusement annonc�� dans les deux Chambres que les fugitifs de Paris ��taient au ban des nations, et que, lui gouvernement belge, il leur refusait asile.
Ce que voyant, l'habitant solitaire de la place des Barricades avait d��cid�� que cet asile, refus�� par les gouvernements �� des vaincus, leur serait offert par un exil��.
Et, par une lettre rendue publique le 27 mai, il avait d��clar�� que, puisque toutes les portes ��taient ferm��es aux fugitifs, sa maison �� lui leur ��tait ouverte, qu'ils pouvaient s'y pr��senter, et qu'ils y seraient les bienvenus, qu'il leur offrait toute la quantit�� d'inviolabilit�� qu'il pouvait avoir lui-m��me, qu'une fois entr��s chez lui personne ne les toucherait sans commencer par lui, qu'il associait son sort au leur, et qu'il entendait ou ��tre en danger avec eux, ou qu'ils fussent en s?ret�� avec lui.
Cela fait, le soir venu, apr��s sa journ��e ordinaire de promenade solitaire, de r��verie et de travail, il rentra dans sa maison. Tout le monde ��tait d��j�� couch�� dans le logis. Il monta au deuxi��me ��tage, et ��couta �� travers une porte la respiration ��gale des petits enfants. Puis il redescendit au premier dans sa chambre, il s'accouda quelques instants �� sa crois��e, songeant aux vaincus, aux accabl��s, aux d��sesp��r��s, aux suppliants,
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