une éducation.
L'homme qui publie aujourd'hui ce recueil, Actes et Paroles, et qui dans
ces volumes, Avant l'exil, Pendant l'exil, Depuis l'exil, ouvre à deux
battants sa vie à ses contemporains, cet homme a traversé beaucoup
d'erreurs. Il compte, si Dieu lui en accorde le temps, en raconter les
péripéties sous ce titre: Histoire des révolutions intérieures d'une
conscience honnête. Tout homme peut, s'il est sincère, refaire
l'itinéraire, variable pour chaque esprit, du chemin de Damas. Lui,
comme il l'a dit quelque part, il est fils d'une vendéenne, amie de
madame de la Rochejaquelein, et d'un soldat de la révolution et de
l'empire, ami de Desaix, de Jourdan et de Joseph Bonaparte; il a subi
les conséquences d'une éducation solitaire et complexe où un proscrit
républicain donnait la réplique à un proscrit prêtre. Il y a toujours eu en
lui le patriote sous le vendéen; il a été napoléonien en 1813,
bourbonnien en 1814; comme presque tous les hommes du
commencement de ce siècle, il a été tout ce qu'a été le siècle; illogique
et probe, légitimiste et voltairien, chrétien littéraire, bonapartiste libéral,
socialiste à tâtons dans la royauté; nuances bizarrement réelles,
surprenantes aujourd'hui; il a été de bonne foi toujours; il a eu pour
effort de rectifier son rayon visuel au milieu de tous ces mirages; toutes
les approximations possibles du vrai ont tenté tour à tour et quelquefois
trompé son esprit; ces aberrations successives, où, disons-le, il n'y a
jamais eu un pas en arrière, ont laissé trace dans ses oeuvres; on peut en
constater çà et là l'influence; mais, il le déclare ici, jamais, dans tout ce
qu'il a écrit, même dans ses livres d'enfant et d'adolescent, jamais on ne
trouvera une ligne contre la liberté. Il y a eu lutte dans son âme entre la
royauté que lui avait imposée le prêtre catholique et la liberté que lui
avait recommandée le soldat républicain; la liberté a vaincu.
Là est l'unité de sa vie.
Il cherche à faire en tout prévaloir la liberté. La liberté, c'est, dans la
philosophie, la Raison, dans l'art, l'Inspiration, dans la politique, le
Droit.
VI
En 1848, son parti n'était pas pris sur la forme sociale définitive. Chose
singulière, on pourrait presque dire qu'à cette époque la liberté lui
masqua la république. Sortant d'une série de monarchies essayées et
mises au rebut tour à tour, monarchie impériale, monarchie légitime,
monarchie constitutionnelle, jeté dans des faits inattendus qui lui
semblaient illogiques, obligé de constater à la fois dans les chefs
guerriers qui dirigeaient l'état l'honnêteté et l'arbitraire, ayant malgré lui
sa part de l'immense dictature anonyme qui est le danger des
assemblées uniques, il se décida à observer, sans adhésion, ce
gouvernement militaire où il ne pouvait reconnaître un gouvernement
démocratique, se borna à protéger les principes quand ils lui parurent
menacés et se retrancha dans la défense du droit méconnu. En 1848, il y
eut presque un dix-huit fructidor; les dix-huit fructidor ont cela de
funeste qu'ils donnent le modèle et le prétexte aux dix-huit brumaire, et
qu'ils font faire par la république des blessures à la liberté; ce qui,
prolongé, serait un suicide. L'insurrection de juin fut fatale, fatale par
ceux qui l'allumèrent, fatale par ceux qui l'éteignirent; il la combattit; il
fut un des soixante représentants envoyés par l'assemblée aux
barricades. Mais, après la victoire, il dut se séparer des vainqueurs.
Vaincre, puis tendre la main aux vaincus, telle est la loi de sa vie. On fit
le contraire. Il y a bien vaincre et mal vaincre. L'insurrection de 1848
fut mal vaincue. Au lieu de pacifier, on envenima; au lieu de relever, on
foudroya; on acheva l'écrasement; toute la violence soldatesque se
déploya; Cayenne, Lambessa, déportation sans jugement; il s'indigna; il
prit fait et cause pour les accablés; il éleva la voix pour toutes ces
pauvres familles désespérées; il repoussa cette fausse république de
conseils de guerre et d'état de siège. Un jour, à l'assemblée, le
représentant Lagrange, homme vaillant, l'aborda et lui dit: «Avec qui
êtes-vous ici? il répondit: Avec la liberté.--Et que faites-vous? reprit
Lagrange; il répondit: J'attends.»
Après juin 1848, il attendait; mais, après juin 1849, il n'attendit plus.
L'éclair qui jaillit des événements lui entra dans l'esprit. Ce genre
d'éclair, une fois qu'il a brillé, ne s'efface pas. Un éclair qui reste, c'est
là la lumière du vrai dans la conscience.
En 1849, cette clarté définitive se fit en lui.
Quand il vit Rome terrassée au nom dé la France, quand il vit la
majorité, jusqu'alors hypocrite, jeter tout à coup le masque par la
bouche duquel, le 4 mai 1848, elle avait dix-sept fois crié: Vive la
république! quand il vit, après le 13 juin, le triomphe de toutes les
coalitions ennemies du progrès, quand il vit cette joie cynique, il fut
triste, il comprit, et,
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