un débris
d'une portion d'ouvrage dirigée contre la doctrine de Roscelin sur le
tout et les parties. On peut supposer qu'une autre portion du livre traitait
des formes. Un fragment d'un manuscrit récemment publié nous
apprend, ce que témoignait déjà plus d'un passage de la Dialectique,
que les formes aussi (les attributs constitutifs et essentiels) étaient
défendues par Abélard contre les atteintes du nominalisme, et ce
fragment, rédigé par un de ses partisans, pourrait bien contenir des
passages recueillis littéralement à ses leçons, ou extraits de ses
écrits[27]. Il n'est pas impossible que de nouvelles recherches dans les
bibliothèques un peu riches en manuscrits de l'époque, nous valussent
le traité entier ou quelque édition d'un autre traité sur la question qui
avait le plus exercé son esprit et signalé son enseignement. On verra
que nous avons pu nous-même consulter sur ce sujet un manuscrit
d'Abélard que ne mentionne aucun catalogue.
[Note 26: _P. Abaelardi fragmentum sangermanense de Generibus et
Speciebus._ Ouvr. inéd., p. 507-550. M. Cousin, qui a publié ce
morceau précieux et inconnu, l'a découvert à la bibliothèque du Roi
dans un manuscrit du fonds de Saint-Germain-des-Prés. (Introd., p. xiv
et xviii.)]
[Note 27: Cousin, _Fragm. philos_., t. III, Append. ix, p. 494.]
Mais enfin, comme les genres et les espèces sont l'origine et le fond
véritable de la question, et comme nous possédons sur ce point un
fragment étendu, étudions-le d'abord dans tous ses détails. Il commence
ainsi[28]:
[Note 28: Ouvr. inéd., _De Gener. et Spec._, p. 518-519.]
«Sur les genres et les espèces, les opinions sont différentes. Les uns, en
effet, affirment que les genres et les espèces ne sont que les mots,
lesquels sont généraux ou particuliers, et ils ne leur assignent aucune
place parmi les choses; les autres, au contraire, disent qu'il y a des
choses générales et des choses spéciales, d'universelles et de
particulières, mais ceux-ci mêmes se divisent entre eux: quelques-uns
disent que les singuliers individuels (les individus) sont espèces et
genres, genres subalternes et genres généralissimes (prédicaments),
considérés de telle ou telle façon; d'autres, au contraire, imaginent
certaines essences universelles qu'ils croient être tout entières
essentiellement dans chaque individu.»
Ce bref exposé sépare d'abord le nominalisme et le réalisme, puis dans
le réalisme distingue deux opinions: l'une, qui n'admet que des
individus, voit dans les individus des universaux considérés et restreints
d'une certaine manière et plus ou moins particularisés; c'est l'opinion
que Jean de Salisbury prête aux partisans de Gautier de Mortagne.
L'autre admet, indépendamment des individus, des essences
universelles qui résident entièrement en chacun d'eux, et c'est l'opinion,
l'opinion première et foncière de Guillaume de Champeaux.
Abélard entreprend l'examen de ces opinions, en commençant par la
dernière, dont il donne le développement.
«De toutes ces opinions, recherchons ce qui peut raisonnablement
subsister, et d'abord enquérons-nous de cette pensée qui se pose ainsi:
l'homme est une certaine espèce, chose essentiellement une, à laquelle
adviennent certaines formes, et elles font Socrate. Cette même espèce
ou chose est de la même manière _informée_ par les formes qui font
Platon et les autres individus de l'espèce homme. Il n'y a pas en Socrate,
hormis ces formes informant cette matière pour faire Socrate, quelque
chose qui ne soit en même temps _informé_ en Platon par les formes de
Platon; et cette pensée, on l'applique des espèces aux individus et des
genres aux espèces.
«Mais, s'il en est ainsi, qui peut faire que Socrate ne soit pas en même
temps à Rome et à Athènes? En effet, où est Socrate, là est aussi
l'homme universel qui a dans toute sa quantité reçu la forme de la
_socratité_, car tout ce que reçoit la chose universelle elle le garde dans
toute sa quantité[29]. Si donc la chose universelle affectée tout entière
de la _socratité_ est dans le même temps à Rome tout entière en Platon,
il est impossible que dans le même temps n'y soit pas la _socratité_, qui
contenait l'essence tout entière; or, partout où la _socratité_, est dans un
homme, là est Socrate, car Socrate est l'homme socratique. Un esprit
raisonnable n'a rien à opposer à cela[30].
[Note 29: C'est cette proposition qui fait le nerf de l'argument; aussi M.
Cousin l'a-t-il attaquée, et il a fait remarquer que plus d'une substance,
le moi par exemple, peut prendre plusieurs formes, mais
successivement, et en étant tout entière dans chacune de ses
manifestations, ne pas les garder à toujours ni s'identifier avec elles.
Cela est vrai; mais le moi n'est pas universel, il est au contraire une
individualité rigoureuse, et ses manifestations ou modes ne sont pas des
formes essentielles. La proposition d'Abélard: «L'universel (l'essence
universelle) contracte et retient dans sa totalité tout ce qu'elle reçoit,»
est vraie hypothétiquement, c'est-à-dire dans l'hypothèse de Guillaume
de Champeaux, et si l'essence universelle est intégralement dans chaque
individu. Elle devient fausse, si

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