dès que ce
dont ils sont les substantiels existe, nos gens recueillent finalement les
universaux pour les unir en essence aux individus[18]. Dans ce système
de la _répartition des états_[19], on a pour chef Gautier de Mortagne, et
l'on dit que Platon est individu en tant que Platon, espèce en tant
qu'homme, genre en tant qu'animal, mais genre subalterne, et en tant
que substance, genre suprême ou des plus généraux
(_generalissimum_). Cette opinion a compté quelques défenseurs, mais
il y a longtemps que personne ne la professe plus.
[Note 18: «Se saisissant des sensibles et autres individus, et
reconnaissant qu'ils ont seuls l'être véritable, il les fait passer par
différents états, au moyen desquels il constitue dans les individus
mêmes et ce qui est le plus général et ce qui est le plus spécial
(l'universel et la singulier).» (_Id., ibid_.)]
[Note 19: _Partiuntur status_, (_Id., ibid_.)]
«Celui-là soutient les idées; rival de Platon, imitateur de Bernard de
Chartres, il dit que hors d'elles rien n'est espèce ou genre; or, l'idée est,
suivant la définition de Sénèque, l'exemplaire éternel des choses de la
nature, et comme ces exemplaires ne sont ni sujets à la corruption, ni
altérés par les mouvements qui meuvent les individus, et qui, se
succédant presque à chaque moment, les font écouler sans cesse
différents d'eux-mêmes, ils doivent être proprement et véritablement
appelés les universaux. En effet, les choses individuelles sont jugées
indignes de l'attribution d'un nom substantif; jamais stables, toujours
fugaces, elles n'attendent même pas l'appellation, car elles changent
tellement de qualités, de temps, de lieux et de propriétés de mille sortes,
que toute leur existence paraît, non un état durable, mais une transition
mobile. Nous appelons être, dit Boèce, ce qui ni n'augmente par la
tension ni ne diminue par la rétraction, mais se conserve toujours
soutenu par l'appui de sa propre nature: ce sont les quantités, les
qualités, les relations, les lieux, les temps, les habitudes, et tout ce qui
se trouve en quelque sorte faire un avec les corps. Les choses jointes
aux corps paraissent changer, mais demeurent immutables dans leur
nature; ainsi les espèces des choses demeurent les mêmes dans les
individus passagers, comme dans les eaux qui coulent, le courant en
mouvement demeure un fleuve; car on dit que c'est le même fleuve,
d'où ce mot de Sénèque, étranger pourtant à ce sujet: _Nous descendons
et ne descendons pas deux fois dans le même fleuve._ Or ces idées,
c'est-à-dire les formes exemplaires, sont les raisons (définitions)
primitives des choses, elles ne reçoivent ni accroissement ni diminution;
stables et perpétuelles, tout le monde corporel périrait qu'elles ne
pourraient mourir. Le nombre entier des choses corporelles subsiste
dans ces idées, et ainsi que me semble l'établir Augustin dans son livre
sur le libre arbitre, comme elles sont toujours, il a beau arriver que les
choses corporelles périssent, le nombre des choses n'en augmente ni ne
diminue. Ce que ces docteurs promettent est grand sans doute et connu
des philosophes amis des hautes contemplations, mais, comme Boèce
et beaucoup d'autres auteurs l'attestent, rien n'est plus éloigné du
sentiment d'Aristote, car lui-même, on le voit clairement par ses livres,
est très-souvent contraire à ce système. Bernard de Chartres et ses
sectateurs ont pris beaucoup de peine pour mettre l'accord entre
Aristote et Platon; mais je pense qu'ils sont venus trop tard et qu'ils ont
travaillé vainement pour réconcilier des morts qui toute leur vie se sont
contredits.
«Aussi un autre, pour exprimer Aristote, attribue-t-il, avec Gilbert,
évêque de Poitiers, l'universalité aux formes natives, et il s'évertue pour
expliquer leur uniformité[20]. Or la forme native est l'exemple de
l'original[21], et elle ne s'arrête pas dans l'esprit de Dieu, mais elle est
inhérente aux choses créées; elle s'appelle en grec [Grec: eidos], étant à
l'idée ce que l'exemple est à l'exemplaire; sensible dans une chose
sensible, elle est conçue insensible par l'esprit, singulière aussi dans les
singuliers, mais universelle dans tous.
[Note 20: «Il en est qui, à la manière des mathématiciens, abstraient les
formes et rapportent aux formes tout ce qui se dit universaux.» (_Id.,
ibid._.)]
[Note 21: _Exemplum originalis_; il vaut mieux lire probablement
exemplum originale.]
«Il y en a un qui, avec Joslen, évêque de Soissons, attribue
l'universalité aux choses rassemblées en une et la refuse aux individus.
Mais quand de là il en a fallu venir à l'explication des autorités, il
souffre grande douleur, ne pouvant, dans beaucoup de passages,
supporter la grimace du texte indigné.
«Il est quelqu'un enfin qui appelle à son aide une nouvelle langue, faute
d'être assez habile dans la langue latine; car lorsqu'on lui parle de
genres et d'espèces, tantôt il dit qu'il faut entendre par là des choses
universelles, tantôt il explique que ce sont les _manières_ des choses.
Où a-t-il trouvé ce nom? Dans quel auteur cette distinction? Je
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