directs de sensations, ni seulement des souvenirs de
sensations, quoiqu'elles contiennent des souvenirs de sensations. Elles
comprennent plus que les sens n'en ont vu.
Ainsi, même pour ceux qui n'admettent pas d'autres éléments dans les
idées abstraites ou de qualité et dans les idées universelles ou de genre
et d'espèce que la sensation rappelée, décomposée, généralisée, ces
idées renferment quelque chose de non senti et quelque chose de non
sensible. Elles ne sont pas de pures idées des choses sensibles. Il y a
dans les idées de genre et d'espèce, non-seulement l'idée abstraite de
qualité; mais encore une induction qui conclut de l'expérience à
l'existence des qualités semblables dans les individus réels ou
seulement possibles autres que ceux qu'on a pu observer; et cette
induction s'appliquant ou pouvant s'appliquer à ce qu'on n'a jamais vu,
à ce qu'on ne verra jamais, à ce qu'on ne saurait voir, il s'ensuit que,
dans ces idées, il y a déjà la conception de l'invisible.
Une psychologie un peu sévère y verrait bien autre chose, et dans la
formation des idées de genre et d'espèce, dans celle des idées abstraites,
dans la notion même des individus observés, elle démêlerait et
constaterait bien d'autres idées, fruits de l'intelligence, et qui ne
correspondent à rien d'individuel ni de sensible. Telles sont les idées
d'être, de substance, d'essence, de nature, etc. Telles sont encore celles
de cause, d'action, etc. Là encore se trouveraient des idées de choses
non sensibles, dont la théorie de l'abstraction, telle que nous venons de
la rappeler, ne suffirait pas à expliquer l'origine. Pour la production de
ces idées, des philosophes ont admis une sorte d'induction particulière;
et, dans tous les cas, comme elles ne sont pas des idées de pures
qualités ni de genre et d'espèce, ce sont des idées abstraites d'une
nouvelle classe, idées encore plus abstraites, c'est-à-dire encore plus
éloignées des réelles substances individuelles, que les autres idées
placées jusqu'ici hors du cercle des idées sensibles.
Enfin, il est des choses substantielles et réelles qui, bien
qu'inaccessibles aux sens, sont l'objet de la pensée. Dieu n'est pas une
qualité, un genre, une espèce; c'est le nom et l'idée d'un être déterminé,
réel, et pourtant inaccessible aux sens. L'âme est aussi le nom d'un de
ces êtres dont l'existence individuelle peut être conçue et affirmée,
quoique aucune sensation ne la manifeste. Le monde n'est pas non plus
une idée abstraite, ni un genre, ni une espèce, c'est un tout réel et même
individuel qui n'est que conçu, et dont le nom exprime une idée
beaucoup plus large que le souvenir d'aucune sensation.
Il suit que les idées des choses non sensibles peuvent se diviser ainsi:
1° Idées d'êtres déterminés et substantiels, inaccessibles aux sens,
_Dieu, une âme_, etc. 2° Idées de choses inaccessibles aux sens, mais
qui ne sont pas aussi nécessairement conçues comme des substances,
_force, cause, nature, essence_, etc. 3° Idées de touts dont quelques
parties ou quelques propriétés seulement sont accessibles aux sens, _le
ciel, l'espace, le monde_, etc. 4° Idées de collections ou de touts partiels
dont les éléments individuels ne sont pas tous perçus, le plus grand
nombre en étant seulement conçu, _règne inorganique, système des
plantes_, etc. 5° Idées des collections fondées sur une essence
commune ou plutôt idées d'essences génériques ou spéciales; c'est
proprement l'idée de genre et d'espèce. 6° Idées de qualités ou modes
plus ou moins voisins ou éloignés des attributs essentiels; ce sont les
idées abstraites proprement dites.
Toutes ces idées, que la grammaire appelle indistinctement abstraites,
sont dans le langage et dans l'esprit humain. Y sont-elles toutes au
même titre? Doivent-elles être rangées sous le même nom et sous la
même loi?
Quelques philosophes l'ont pensé; mais leur autorité n'est pas grande.
Le sensualisme a toujours incliné vers cette erreur; l'idéologie pure y
tend. Cependant tous les sectateurs éclairés de l'idéologie ou du
sensualisme s'en sont jusqu'à un certain point préservés. Celui qu'on
leur donne habituellement pour chef, bien qu'il ne puisse être confondu
avec eux, Aristote, n'a nié ou méconnu aucune classe d'idées de choses
non sensibles. Il les admet et les emploie toutes; mais il ne les range
pas toutes sur la même ligne. Seulement, ne reconnaissant d'existence
que l'existence déterminée, il semble avoir refusé la réalité aux objets
propres et directs des idées qui ne sont pas individuelles. Mais ces idées
en elles-mêmes, il les a tenues pour réelles, pour vraies, pour valables,
et les conceptions pures de l'esprit humain n'ont nulle part joué un plus
grand rôle que dans le péripatétisme.
Quatorze siècles après lui, on a de nouveau examiné le fond de ces
idées; et d'abord on a mis hors de question les idées de substances
invisibles, comme _Dieu, ange, âme_, et les idées de qualités
proprement dites, de celles qui n'existent réellement que dans les sujets
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