A LOmbre Des Jeunes Filles en Fleurs, vol 1 | Page 9

Marcel Proust
noms d'invit��s qui ne sont que des invit��s, et sur le m��me ton qu'elle a cit�� les autres: M. Anatole France.
Le m��decin qui me soignait -- celui qui m'avait d��fendu tout voyage -- d��conseilla �� mes parents de me laisser aller au th��atre; j'en reviendrais malade, pour longtemps peut-��tre, et j'aurais en fin de compte plus de souffrance que de plaisir. Cette crainte e?t pu m'arr��ter, si ce que j'avais attendu d'une telle repr��sentation e?t ��t�� seulement un plaisir qu'en somme une souffrance ult��rieure peut annuler, par compensation. Mais -- de m��me qu'au voyage �� Balbec, au voyage �� Venise que j'avais tant d��sir��s -- ce que je demandais �� cette matin��e, c'��tait tout autre chose qu'un plaisir: des v��rit��s appartenant �� un monde plus r��el que celui o�� je vivais, et desquelles l'acquisition une fois faite ne pourrait pas m'��tre enlev��e par des incidents insignifiants, fussent-ils douloureux �� mon corps, de mon oiseuse existence. Tout au plus, le plaisir que j'aurais pendant le spectacle, m'apparaissait-il comme la forme peut-��tre n��cessaire de la perception de ces v��rit��s; et c'��tait assez pour que je souhaitasse que les malaises pr��dits ne commen?assent qu'une fois la repr��sentation finie, afin qu'il ne f?t pas par eux compromis et fauss��. J'implorais mes parents, qui, depuis la visite du m��decin, ne voulaient plus me permettre d'aller �� Ph��dre. Je me r��citais sans cesse la tirade: ?On dit qu'un prompt d��part vous ��loigne de nous?, cherchant toutes les intonations qu'on pouvait y mettre, afin de mieux mesurer l'inattendu de celle que la Berma trouverait. Cach��e comme le Saint des Saints sous le rideau qui me la d��robait et derri��re lequel je lui pr��tais �� chaque instant un aspect nouveau, selon ceux des mots de Bergotte -- dans la plaquette retrouv��e par Gilberte -- qui me revenaient �� l'esprit: ?Noblesse plastique, cilice chr��tien, paleur jans��niste, princesse de Tr��z��ne et de Cl��ves, drame Myc��nien, symbole delphique, mythe solaire?, la divine Beaut�� que devait me r��v��ler le jeu de la Berma, nuit et jour, sur un autel perp��tuellement allum��, tr?nait au fond de mon esprit, de mon esprit dont mes parents s��v��res et l��gers allaient d��cider s'il enfermerait ou non, et pour jamais, les perfections de la D��esse d��voil��e �� cette m��me place o�� se dressait sa forme invisible. Et les yeux fix��s sur l'image inconcevable, je luttais du matin au soir contre les obstacles que ma famille m'opposait. Mais quand ils furent tomb��s, quand ma m��re -- bien que cette matin��e e?t lieu pr��cis��ment le jour de la s��ance de la Commission apr��s laquelle mon p��re devait ramener d?ner M. de Norpois -- m'e?t dit: ?H�� bien, nous ne voulons pas te chagriner, si tu crois que tu auras tant de plaisir, il faut y aller?, quand cette journ��e de th��atre, jusque-l�� d��fendue, ne d��pendit plus que de moi, alors, pour la premi��re fois, n'ayant plus �� m'occuper qu'elle cessat d'��tre impossible, je me demandai si elle ��tait souhaitable, si d'autres raisons que la d��fense de mes parents n'auraient pas d? m'y faire renoncer. D'abord, apr��s avoir d��test�� leur cruaut��, leur consentement me les rendait si chers que l'id��e de leur faire de la peine m'en causait �� moi-m��me une, �� travers laquelle la vie ne m'apparaissait plus comme ayant pour but la v��rit��, mais la tendresse, et ne me semblait plus bonne ou mauvaise que selon que mes parents seraient heureux ou malheureux. ?J'aimerais mieux ne pas y aller, si cela doit vous affliger?, dis-je �� ma m��re qui, au contraire, s'effor?ait de m'?ter cette arri��re-pens��e qu'elle p?t en ��tre triste, laquelle, disait-elle, gaterait ce plaisir que j'aurais �� Ph��dre et en consid��ration duquel elle et mon p��re ��taient revenus sur leur d��fense. Mais alors cette sorte d'obligation d'avoir du plaisir me semblait bien lourde. Puis si je rentrais malade, serais-je gu��ri assez vite pour pouvoir aller aux Champs-��lys��es, les vacances finies, aussit?t qu'y retournerait Gilberte. A toutes ces raisons, je confrontais, pour d��cider ce qui devait l'emporter, l'id��e, invisible derri��re son voile, de la perfection de la Berma. Je mettais dans un des balances du plateau, ?sentir maman triste, risquer de ne pas pouvoir aller aux Champs-��lys��es?, dans l'autre, ?paleur jans��niste, mythe solaire?; mais ces mots eux-m��mes finissaient par s'obscurcir devant mon esprit, ne me disaient plus rien, perdaient tout poids; peu �� peu mes h��sitations devenaient si douloureuses que si j'avais maintenant opt�� pour le th��atre, ce n'e?t plus ��t�� que pour les faire cesser et en ��tre d��livr�� une fois pour toutes. C'e?t ��t�� pour abr��ger ma souffrance et non plus dans l'espoir d'un b��n��fice intellectuel et en c��dant �� l'attrait de la perfection, que je me serais laiss�� conduire non vers la Sage D��esse, mais vers l'implacable Divinit�� sans visage et sans nom qui lui avait ��t�� subrepticement substitu��e sous son voile. Mais brusquement
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