bien souvent à lire entre les lignes, comme je viens de le
dire, mon but principal est d'apprendre à ceux qui l'ignorent, et ils sont
nombreux, la différence énorme qui existe pour les voyages, entre jadis
et aujourd'hui; et quelle contrariété ils éprouveraient, s'ils étaient
obligés de revenir aux moyens de transport d'il y a un siècle, et même
d'un demi-siècle.
* * *
C'est encore ma mémoire, en grande partie, que j'invoque; mais cette
fois ce n'est plus une lampe de salon, car elle va me conduire sur les
grandes routes, que toute ma vie j'ai beaucoup pratiquées et sur
lesquelles je vous invite à me suivre, ami lecteur, s'il ne vous déplaît
pas de courir le monde avec moi, assis sur un bon fauteuil et les pieds
sur les chenets en cas de froidure, ou bien à l'ombre, sur le banc de
votre jardin, si le soleil luit.
* * *
Ceci bien posé, que c'est de votre plein gré que je vous emmène,
partons!
* * *
VOYAGES AU TEMPS JADIS
CHAPITRE PREMIER
Où l'on voit le roi Louis XI, la poste et les postillons.
Dans un de mes derniers voyages de Genève, une jeune dame assez
jolie, autant qu'il m'en souvient, occupait avec moi le même
compartiment d'un train express; le hasard seul avait fait notre
rencontre, comme celle de la petite Sonia avec Tartarin sur les Alpes.
Il me fut facile de reconnaître que ce n'était pas le moins du monde une
nihiliste russe, mais tout spirituellement une parisienne pur sang, dont
la société ne m'exposait pas à faire connaissance avec les gendarmes,
comme cela m'était une autre fois arrivé; j'aurai peut-être l'occasion de
vous le dire.
En traversant le tunnel du Credo, elle s'étonnait que partie de Genève à
onze heures du matin, elle ne pouvait arriver à Paris... le même jour,
qu'à onze heures du soir.
Elle n'avait aucune idée de l'état de chose antérieur aux chemins de fer;
elle les avait trouvés en venant au monde, elle les supposait aussi vieux
que lui. Je l'aurais étonnée, je crois, en lui disant que ce n'était pas dans
un wagon de première qu'Adam et Ève avaient déménagé de l'Éden.
Plus je pense à cette rencontre, plus je pense aussi que notre génération
disparue, bien des gens seront comme ma parisienne, et ne pourront se
faire aucune idée des voyages au temps jadis.
Il y a donc un certain intérêt à revenir sur ce passé, dont quelques-uns
encore se souviennent et pourront me contrôler, et qui pour tous sera
bientôt lettre close.
Mon titre a déjà besoin d'explication: qui sait aujourd'hui ce qu'était un
voyage en poste?
Pour vous, jeune lecteur, la poste se résume dans l'uniforme, assez laid
et souvent crotté, d'un facteur apportant lettres et journaux, et qui
jamais, au premier de l'an, n'oublie de réclamer ses étrennes; qu'entre
nous soit dit, il mérite généralement mieux que beaucoup d'autres; puis
encore, dans une vilaine petite boîte, chez le marchand de tabac, où
vous déposez vous-même votre correspondance, quand vous voulez
être sûr qu'elle ne sera pas oubliée dans la poche d'un commissionnaire;
comme le faisait toujours le comte J..., ministre des travaux publics
sous Louis-Philippe, tant sa confiance dans son personnel était grande.
On est bien loin d'être assuré, cependant, qu'elle arrive à sa destination,
car on peut la dérober en route; je le sais par une expérience ennuyeuse
et récente, que je tacherai d'oublier avant le 1er janvier, en pensant que
c'est mon voleur qui a été volé.
Enfin, vous connaissez peut-être aussi le bureau de la poste restante, si
vous n'en connaissez pas les mystères, et le guichet, où vous êtes obligé
de faire queue pour payer vos dettes lointaines et transmettre aussi
quelquefois vos cadeaux à distance, comme je l'espère pour vous, et
surtout pour les destinataires.
Mais qu'il y a loin de cette poste, qui n'est plus qu'un service de
distribution, à la poste ancienne, qui faisait elle-même le transport des
lettres et des personnes.
La poste dont je vais parler datait de l'édit de Doullens, en 1464. Elle a
disparu au milieu de notre siècle; elle a donc vécu quatre cents ans.
Combien voyons-nous de choses qui ne durent pas si longtemps? Sans
compter celles qui n'ont que dix-huit ans et qui durent déjà beaucoup
trop pour l'intérêt de la chose publique et de bien des choses
particulières.
Au dire de ses contemporains, le roi Louis XI était fort curieux de
nouvelles et voulait, en outre, transmettre rapidement ses ordres dans
tout le royaume.
Le premier, il fit établir dans les principales directions, des relais de
chevaux de selle; en 1483, l'Angleterre suivit son exemple.
Le chef de chaque dépôt où les chevaux étaient postés, c'est de là que
vient le nom, s'appelait d'abord maître coureur; ce n'est
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