Voyages | Page 2

Théodore Aynard
moyens de transport d'il y a un siècle, et même d'un demi-siècle.
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C'est encore ma mémoire, en grande partie, que j'invoque; mais cette fois ce n'est plus une lampe de salon, car elle va me conduire sur les grandes routes, que toute ma vie j'ai beaucoup pratiquées et sur lesquelles je vous invite à me suivre, ami lecteur, s'il ne vous dépla?t pas de courir le monde avec moi, assis sur un bon fauteuil et les pieds sur les chenets en cas de froidure, ou bien à l'ombre, sur le banc de votre jardin, si le soleil luit.
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Ceci bien posé, que c'est de votre plein gré que je vous emmène, partons!
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VOYAGES AU TEMPS JADIS

CHAPITRE PREMIER
Où l'on voit le roi Louis XI, la poste et les postillons.
Dans un de mes derniers voyages de Genève, une jeune dame assez jolie, autant qu'il m'en souvient, occupait avec moi le même compartiment d'un train express; le hasard seul avait fait notre rencontre, comme celle de la petite Sonia avec Tartarin sur les Alpes.
Il me fut facile de reconna?tre que ce n'était pas le moins du monde une nihiliste russe, mais tout spirituellement une parisienne pur sang, dont la société ne m'exposait pas à faire connaissance avec les gendarmes, comme cela m'était une autre fois arrivé; j'aurai peut-être l'occasion de vous le dire.
En traversant le tunnel du Credo, elle s'étonnait que partie de Genève à onze heures du matin, elle ne pouvait arriver à Paris... le même jour, qu'à onze heures du soir.
Elle n'avait aucune idée de l'état de chose antérieur aux chemins de fer; elle les avait trouvés en venant au monde, elle les supposait aussi vieux que lui. Je l'aurais étonnée, je crois, en lui disant que ce n'était pas dans un wagon de première qu'Adam et ève avaient déménagé de l'éden.
Plus je pense à cette rencontre, plus je pense aussi que notre génération disparue, bien des gens seront comme ma parisienne, et ne pourront se faire aucune idée des voyages au temps jadis.
Il y a donc un certain intérêt à revenir sur ce passé, dont quelques-uns encore se souviennent et pourront me contr?ler, et qui pour tous sera bient?t lettre close.
Mon titre a déjà besoin d'explication: qui sait aujourd'hui ce qu'était un voyage en poste?
Pour vous, jeune lecteur, la poste se résume dans l'uniforme, assez laid et souvent crotté, d'un facteur apportant lettres et journaux, et qui jamais, au premier de l'an, n'oublie de réclamer ses étrennes; qu'entre nous soit dit, il mérite généralement mieux que beaucoup d'autres; puis encore, dans une vilaine petite bo?te, chez le marchand de tabac, où vous déposez vous-même votre correspondance, quand vous voulez être s?r qu'elle ne sera pas oubliée dans la poche d'un commissionnaire; comme le faisait toujours le comte J..., ministre des travaux publics sous Louis-Philippe, tant sa confiance dans son personnel était grande. On est bien loin d'être assuré, cependant, qu'elle arrive à sa destination, car on peut la dérober en route; je le sais par une expérience ennuyeuse et récente, que je tacherai d'oublier avant le 1er janvier, en pensant que c'est mon voleur qui a été volé.
Enfin, vous connaissez peut-être aussi le bureau de la poste restante, si vous n'en connaissez pas les mystères, et le guichet, où vous êtes obligé de faire queue pour payer vos dettes lointaines et transmettre aussi quelquefois vos cadeaux à distance, comme je l'espère pour vous, et surtout pour les destinataires.
Mais qu'il y a loin de cette poste, qui n'est plus qu'un service de distribution, à la poste ancienne, qui faisait elle-même le transport des lettres et des personnes.
La poste dont je vais parler datait de l'édit de Doullens, en 1464. Elle a disparu au milieu de notre siècle; elle a donc vécu quatre cents ans. Combien voyons-nous de choses qui ne durent pas si longtemps? Sans compter celles qui n'ont que dix-huit ans et qui durent déjà beaucoup trop pour l'intérêt de la chose publique et de bien des choses particulières.
Au dire de ses contemporains, le roi Louis XI était fort curieux de nouvelles et voulait, en outre, transmettre rapidement ses ordres dans tout le royaume.
Le premier, il fit établir dans les principales directions, des relais de chevaux de selle; en 1483, l'Angleterre suivit son exemple.
Le chef de chaque dép?t où les chevaux étaient postés, c'est de là que vient le nom, s'appelait d'abord ma?tre coureur; ce n'est que plus tard qu'il prit le nom de ma?tre du poste, et enfin, celui de ma?tre de poste.
Ce n'était pas alors une institution précisément démocratique, car il était formellement défendu de monter sur ces chevaux sans mandement du Roi, sous peine de la vie.
Ce grand roi n'y allait pas de main morte. Comme M. Thiers, interrompu par les clameurs de l'extrême gauche, disait à la Chambre: ?J'ai l'habitude d'appeler Monseigneur les
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