de tous les animaux, et fort aisés à apprivoiser. Quand on en a une fois apprivoisé quelqu’un, on en fait tout ce qu’on veut. Ils sont d’une commodité admirable pour atteler aux voitures, et faire beaucoup de chemin en peu de tems. Pour ce qui est des centaures, on voulut autrefois les faire parquer aussi comme les chevaux et les griffons, parce qu’ils tiennent en effet beaucoup du cheval; mais ils n’y voulurent jamais consentir, prétendant qu’ils ne tenoient pas moins de l’homme; et comme en effet il est assez difficile de décider si ce sont des hommes ou des chevaux, l’affaire est demeurée indécise; et cependant on leur a laissé la liberté de courir la campagne selon leur fantaisie, et de vivre à leur maniere. Le parc des hircocerfs et des chimeres me parut un des plus curieux à voir, et m’amusa fort long-tems. Tous ces monstres étoient resserrés chacun dans une loge faite en forme de cage, qui laissoit voir toute leur taille et leur figure, ce qui faisoit une espéce de ménagerie fort divertissante d’une part, par l’assortiment bizarre de divers animaux unis ensemble, et terrible de l’autre par la figure monstrueuse et mena?ante de ces bêtes farouches.
Aux deux c?tés de cette ménagerie on avoit pratiqué deux grands canaux, mais bien différens l’un de l’autre; car l’un étoit plein d’un feu clair et vif, qu’on avoit soin d’entretenir continuellement, c’étoit pour loger et nourrir un troupeau de salamandres. L’autre étoit rempli d’une belle eau claire et transparente. C’étoit la demeure de deux ou trois bandes de sirenes qu’on y avoit logées comme dans une maison de force, pour les punir des débauches effroyables, où elles avoient engagé par les charmes de leur voix enchanteresse, quantité de heros vertueux. Outre la retraite à laquelle elles étoient condamnées pour plusieurs années, elles avoient défense de chanter, si ce n’étoit quelques morceaux de l’opéra d’H parce qu’on jugeoit qu’il n’y avoit pas de danger d’en être attendri; mais elles en trouvoient le chant si sauvage, qu’elles aimoient mieux se taire, de sorte qu’elles étoient en effet muettes comme des poissons. Outre ces deux canaux, il y avoit encore un puits fort profond, qui servoit de demeure à des basilics. Mais je me gardai bien de me présenter à l’ouverture du puits, pour ne pas m’exposer à être tué par le regard meurtrier de ces monstres.
Je passai de là à un quartier où j’appercevois des moutons. Je n’ai jamais rien v? de si aimable. Mais j’ai sur tout un plaisir singulier à me rappeller le charmant tableau qui s’offrit à mes yeux. On s?ait comment sont faits parmi nous les bergers et les bergeres; rien de plus abject ni de plus dégoutant; et n’en ayant jamais v? d’autres, je m’étois persuadé que tout ce que je lisois de ceux d’autrefois, sur tout de ceux qui habitoient les bords du Lignon, n’étoit que jeu d’esprit et pure fiction. C’est moi qui me faisois illusion à moi-même.
Non, rien n’est si galant ni si aimable que les bergers de la romancie. Leur habillement est to?jours extrêmement propre; simple, mais de bon gout: peu chargé de parures, mais élégant et bien assorti à la taille et à la figure. Toutes leurs houlettes sont ornées de rubans, dont la couleur n’est jamais choisie au hazard; car elle doit marquer to?jours les sentimens et les dispositions de leur coeur; et je n’en ai v? aucune qui ne f?t en même tems chargée de chiffres ingénieux et tout-à-fait galants. Si les bergeres ignorent l’usage du rouge, du blanc, des mouches et de tous les attraits empruntés, c’est que l’éclat et la vivacité naturelle de leur teint surpasse tout ce que l’art peut prêter d’agrémens. Toute la parure de leur tête consiste en quelques fleurs nouvelles, qui mêlées avec les boucles de leurs cheveux, font un effet plus charmant mille fois que ne feroient les perles et les diamans. Mais ce qui acheve de les rendre les plus aimables personnes du monde, ce sont ces graces touchantes et naturelles dont elles sont toutes pourv?es. Qu’elles soient vives ou d’une humeur plus tranquille, qu’elles chantent, qu’elles dansent, qu’elles sourient, qu’elles soient tristes, qu’elles dorment ou qu’elles veillent, elles font tout cela avec tant de grace et de gentillesse, qu’il n’y a point de coeur si insensible qui n’en soit ém?. L’aimable candeur et l’innocente simplicité sont des vertus qui ne les quittent jamais. Elles ignorent jusqu’au nom de la dissimulation, de la perfidie, de l’infidélité, et de ces artifices dangereux, que la jalousie ou la coquetterie mettent en usage. Le berger qui vit parmi elles est le plus heureux des hommes; s’il aime, il est s?r d’être aimé; sa tendresse est payée de tendresse, et sa constance de fidélité. Le berger sans amour et qui chérit son indifférence, n’a point
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