Voyage de J. Cartier au Canada | Page 9

Jacques Cartier
à atteindre le cap Breton, d'où ils gagnèrent l'île aux Pingouins,
& s'élevèrent ensuite fort avant dans le nord, au milieu des glaces; mais la disette de
vivres devint telle parmi eux, qu'ils étaient réduits aux dernières extrémités quand apparut
un navire français bien approvisionné; ils parvinrent à s'en emparer par la ruse, &
s'esquivèrent aussitôt pour retourner en Angleterre, où ils arrivèrent à la fin d'octobre, &
ne purent être rejoints que plusieurs mois après par les Français qu'ils avaient dépouillés,
& que le roi Henri VIII prit le parti d'indemniser de ses propres deniers.
En France, où Cartier avait ramené quelques sauvages canadiens, on s'occupait de les
instruire, afin de trouver en eux des interprètes & des auxiliaires pour la civilisation de
leurs compatriotes: ils furent baptisés le 25 mars 1538; mais le changement de climat leur
devint funeste, & ils moururent tous sauf un seul (une jeune fille) avant qu'on pût tirer
d'eux aucun service. Malgré ce désappointement, une nouvelle expédition fut résolue par
l'intervention active d'un gentilhomme picard, Jean-François de la Roque sieur de
Roberval, que le roi, par lettres du 15 janvier 1540, nomma son lieutenant général ès
terres neufves de Canada, Hochelaga & Saguenay & autres circonvoisines. Des lettres
royales, données à Saint-Prix le 17 octobre suivant, instituèrent Jacques Cartier capitaine
général & maître pilote de tous les navires & vaisseaux qui seraient envoyés pour cette
entreprise.
Cinq navires jaugeant ensemble quatre cents tonneaux ayant été convenablement disposés
en conséquence, Cartier partit de Saint-Malo le 23 mai 1541, laissant en France Roberval,
qui devait le rejoindre bientôt avec le complément du matériel destiné à la fondation de
l'établissement projeté. Cartier se trouvait le 23 août au hâvre de Sainte-Croix; mais il
préféra pour l'hivernage de ses vaisseaux un autre endroit à quatre lieues plus loin, à
l'entrée d'une rivière près du cap Rouge, où il construisit un fort & des magasins,
auxquels il donna le nom de Charlesbourg royal; après quoi il renvoya en France deux de
ses navires, sous les ordres de Macé Jalobert son beau-frère, & d'Etienne Noël son neveu,
qui partirent le 2 septembre. Il alla lui-même reconnaître au-dessus de Hochelaga les
sauts ou rapides qui barrent le cours du fleuve, revint hiverner au fort, & n'ayant aucune
nouvelle de Roberval à la fin de Mai 1542, il prit le parti de s'en retourner en France.
Ayant relâché au havre Saint-Jean, sous le cap Double, il y rencontra Roberval qui
arrivait enfin avec deux navires, mais il se refusa à remonter avec lui, & vint désarmer à
Saint-Malo, où on le voit, le 21 octobre, tenir sur les fonts baptismaux la tille du
lieutenant de Roi gouverneur de cette ville.
A quelque temps de là, sur l'ordre du Roi, qui rappelait Roberval en France, Cartier partit
de rechef de Saint-Malo au printemps de 1543 pour aller chercher les restes de cette
expédition avortée, & rentra définitivement à Saint-Malo après une absence de huit mois.
Et l'idée d'un établissement français au Canada demeura désormais abandonnée pendant
plus d'un demi-siècle.
XV

Après cette revue de toutes les navigations européennes vers les rivages transatlantiques
du nord-ouest, depuis les plus anciennes traditions qui nous soient parvenues, jusqu'à la
dernière de celles où figure le nom de Jacques Cartier, il ne nous reste que peu de mots à
dire sur la personne du célèbre pilote malouin, & sur les lambeaux qui ont été recueillis
de ses relations.
Un vieux marin de Saint-Malo, plein de zèle & de patriotisme, Charles Cunat, avait
recouvré la vigoureuse ardeur de ses jeunes années, pour fouiller les archives de toute
sorte qui se pouvaient trouver à sa portée dans sa chère ville natale; & ce qu'il n'y a point
découvert, nul autre sans doute ne l'y saurait rencontrer. Aussi loin qu'il a pu remonter
dans les actes de l'état-civil qui existent encore, il a entrevu un Jehan Cartier, qui de son
mariage avec Guillemette Baudoin avait eu six enfants, dont l'aîné, Jamet ou Jacques, né
le 4 décembre 1458, eut à son tour, de son mariage avec Jesseline Jansart, un fils né le 31
décembre 1494, lequel n'est autre que le célèbre navigateur Jacques Cartier, marié
lui-même en 1519 avec Catherine des Granches, fille de Jacques des Granches connétable
de la ville & cité de Saint-Malo, mais de laquelle il n'eut point de postérité.
Après qu'il eut renoncé à la navigation, il habitait pendant l'hiver, dans la ville de
Saint-Malo, une maison située «jouxte l'hôpital Saint-Thomas», mais dont il ne reste
depuis longtemps aucun vestige; l'été il se retirait dans le domaine seigneurial de
Limoilou, au village ainsi appelé, où son château conserve encore le nom de Portes
Cartier.
Il avait eu à soutenir, après le retour de Roberval, une instance dans laquelle on lui
demandait compte des deniers dont il avait
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