Voyage de J. Cartier au Canada | Page 3

Jacques Cartier
le pays de Drogio, une tempête le jeta plus loin, chez un peuple de sauvages cannibales qui le gardèrent esclave pendant de longues années, jusqu'à ce qu'après bien des vicissitudes il parvint à s'échapper de leurs mains & à regagner Drogio, d'où il revint après trois ans d'attente à Estotiland: il se livra alors au commerce entre ces deux contrées, s'y enrichit, & put terminer enfin sa longue odyssée en armant lui-même un navire pour retourner en Frislande.
C'est encore à ces relations de plus en plus rares, mais qui n'avaient jamais été complètement abandonnées entre les Etats scandinaves & leurs colonies du nord-ouest, que se rattache le souvenir de ce pilote norvégien, originaire de Pologne, Hans Koeln ou Ivan z'Kolna, c'est-à-dire Jean de Kolno en Mazovie, envoyé en 1476 pour ravitailler les stations du Groenland, & qui visita, dit-on, la c?te opposée en pénétrant jusqu'à la grande baie qui devait recevoir longtemps après le nom de Hudson.
V
Il est naturel de penser qu'une notion plus ou moins précise, mais certaine & incontestée, de l'existence des régions transatlantiques tant de fois abordées par les marins du Nord, s'était conservée parmi eux, & les écrits d'Adam de Brème prouvent qu'elle avait même pénétré, dès le onzième siècle, jusqu'au sein de la Germanie. On devait la trouver d'autant plus vivante & plus assurée, qu'on s'élevait davantage vers les escales d'où étaient parties les plus fréquentes expéditions: il ne faut donc point se récrier contre la supposition que dans son voyage d'Islande en 1477, Christophe Colomb aurait recueilli en cette ?le des indices propres à exciter ou confirmer dans son esprit la conviction que l'Océan occidental pouvait être franchi par de hardis navigateurs, s?rs de trouver au-delà des rivages accessibles. Les théories du florentin Toscanelli avaient déjà, en 1477, soutenu cette thèse auprès des savants de Portugal, & lorsque Colomb parvint à les conna?tre quelques années après, vers 1481 suivant toute apparence, il n'hésita plus à se consacrer sans réserve à l'accomplissement du grand dessein d'aller par cette voie de l'occident à la rencontre des plages extrêmes de l'Asie orientale; mais il lui fallut l'immense courage de mendier encore pendant plus de dix années, auprès des rois de l'Europe latine, des vaisseaux que, nouveau Typhis, il p?t conduire à la conquête de cette autre toison d'or. Serait-il vrai que, dans l'intervalle, un navigateur fran?ais, le capitaine Cousin, de Dieppe, porté à l'ouest en 1488, jusqu'à de lointains parages inconnus aurait alors atteint ou aper?u quelque point de la c?te américaine? Rien ne se peut déduire avec précision des vagues indices que nous ont tardivement transmis à ce sujet d'insuffisantes traditions en admettant le fait comme certain, ce ne serait en définitive qu'un anneau de plus à compter dans la cha?ne des découvertes au bout de laquelle vient se souder, à la fameuse date du 10 octobre 1492, la véritable prise de possession, par l'Europe, de l'hémisphère transatlantique, simplement jusqu'alors visité à l'aventure par les devanciers de l'immortel Génois.
VI
Pendant que Colomb, tout plein encore des illusions de ses rêves cosmographiques, s'ingéniait à retrouver dans l'archipel des Antilles le Zipan-gu & les domaines du grand kaan du Khatay, marqués à cette place sur la carte que lui avait jadis envoyée Toscanelli, un autre navigateur Italien, établi depuis longtemps en Angleterre au port de Bristol, Jean Cabot de Venise, S'étant élevé vers l'ouest durant un de ses voyages, arriva, le 24 juin 1494, en vue d'une terre & d'une ile inconnues, qu'il appela du nom de Saint-Jean, le patron du jour; & il revint solliciter une commission royale qui lui assurat le privilége de ses découvertes sous l'autorité de la Couronne d'Angleterre, ce qui lui fut accordé par lettres-patentes données à Westminster le 5 mars 1496. Il effectua en conséquence, en 1497, sur un navire armé à Bristol au compte du roi Henri VII, & accompagné de trois batiments marchands, un second voyage de trois mois, donc il était de retour au commencement d'ao?t, après une navigation de trois cents lieues le long d'une c?te où nul habitant ne s'était montré, & sur laquelle il avait planté la bannière britannique de Saint-Georges & le pavillon vénitien de Saint-Marc.
De nouvelles lettres royales, du 3 février 1498, l'autorisèrent alors à choisir dans les ports d'Angleterre jusqu'à six navires de charge destinés à transporter des colons aux terres & iles ainsi découvertes, & bient?t deux batiments armés aux frais du roi & portant trois cents hommes partirent pour cette destination sous les ordres de Sébastien Cabot, qui avait accompagné son père dans ses deux précédentes explorations; mais la rigueur de la saison, bien qu'on f?t au mois de juillet, lui fit perdre une grande partie de son monde: arrêté par les glaces vers 56° à 58° de latitude, il descendit la c?te jusqu'à la hauteur du détroit de Gibraltar, & n'ayant
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