présentent sous un désordre apparent. Il y a des mots où
les consonnes se rencontrent seules comme le premier «mrnlls,» d'autres où les voyelles,
au contraire, abondent, le cinquième, par exemple, «unteief,» ou l'avant-dernier «oseibo.»
Or, cette disposition n'a évidemment pas été combinée; elle est donnée
mathématiquement par la raison inconnue qui a présidé à la succession de ces lettres. Il
me parait certain que la phrase primitive a été écrite régulièrement, puis retournée suivant
une loi qu'il faut découvrir. Celui qui posséderait la clef de ce «chiffre» le lirait
couramment. Mais quelle est cette clef? Axel, as-tu cette clef?»
A cette question je ne répondis rien, et pour cause. Mes regards s'étaient arrêtés sur un
charmant portrait suspendu au mur, le portrait de Graüben. La pupille de mon oncle se
trouvait alors à Altona, chez une de ses parentes, et son, absence me rendait fort triste, car,
je puis l'avouer maintenant, la jolie Virlandaise et le neveu du professeur s'aimaient avec
toute la patience et toute la tranquillité allemandes; nous nous étions fiancés à l'insu de
mon oncle, trop géologue pour comprendre de pareils sentiments. Graüben était une
charmante jeune fille blonde aux yeux bleus, d'un caractère un peu grave, d'un esprit un
peu sérieux; mais elle ne m'en aimait pas moins; pour mon compte, je l'adorais, si
toutefois ce verbe existe dans la langue tudesque! L'image de ma petite Virlandaise me
rejeta donc, en un instant, du monde des réalités dans celui des chimères, dans celui des
souvenirs.
Je revis la fidèle compagne de mes travaux et de mes plaisirs. Elle m'aidait à ranger
chaque jour les précieuses pierres de mon oncle; elle les étiquetait avec moi. C'était une
très forte minéralogiste que mademoiselle Graüben! Elle aimait à approfondir les
questions ardues de la science. Que de douces heures nous avions passées à étudier
ensemble, et combien j'enviai souvent le sort de ces pierres insensibles qu'elle maniait de
ses charmantes mains.
Puis, l'instant de là récréation venue, nous sortions tous les deux; nous prenions par les
allées touffues de l'Alsser, et nous nous rendions de compagnie au vieux moulin
goudronné qui fait si bon effet à l'extrémité du lac; chemin faisant, on causait en se tenant
par la main; je lui racontais des choses dont elle riait de son mieux; on arrivait ainsi
jusqu'au bord de l'Elbe, et, après avoir dit bonsoir aux cygnes qui nagent parmi les grands
nénuphars blancs, nous revenions au quai par la barque à vapeur.
Or, j'en étais là de mon rêve, quand mon oncle, frappant la table du poing, me ramena
violemment à la réalité.
«Voyons, dit-il, la première, idée qui doit se présenter à l'esprit pour brouiller les lettres
d'une phrase, c'est, il me semble, d'écrire les mots verticalement au lieu de les tracer
horizontalement.
--Tiens! pensai-je.
--Il faut voir ce que cela produit, Axel, jette une phrase quelconque sur ce bout de papier;
mais, au lieu de disposer les lettres à la suite les unes des autres, mets-les successivement
par colonnes verticales, de manière à les grouper en nombre de cinq ou six.»
Je compris ce dont il s'agissait, et immédiatement j'écrivis de haut en bas:
J m n e , b e e , t G e t' b m i r n a i a t a ! i e p e ü
«Bon, dit le professeur, sans avoir lu. Maintenant, dispose ces mots sur une ligne
horizontale.
J'obéis, et j'obtins la phrase suivante:
Jmne,b ee,tGe t'bmirn aiata! iepeü
«Parfait! fit mon oncle en m'arrachant le papier des mains, voilà qui a déjà la
physionomie du vieux document; les voyelles sont groupées ainsi que les consonnes dans
le même désordre; il y a même des majuscules au milieu des mots, ainsi que des virgules,
tout comme dans le parchemin de Saknussemm!»
Je ne puis m'empêcher de trouver ces remarques fort ingénieuses.
«Or, reprit mon oncle en s'adressant directement à moi, pour lire la phrase que tu viens
d'écrire, et que je ne connais pas, il me suffira de prendre successivement la première
lettre de chaque mot, puis la seconde, puis la troisième, ainsi de suite.
Et mon oncle, à son grand étonnement, et surtout au mien, lut:
Je t'aime bien, ma petite Graüben!
«Hein!» fit le professeur.
Oui, sans m'en douter, en amoureux maladroit, j'avais tracé cette phrase compromettante!
«Ah! tu aimes Graüben! reprit mon oncle d'un véritable ton de tuteur!
--Oui ... Non ... balbutiai-je!
--Ah! tu aimes Graüben, reprit-il machinalement. Eh bien, appliquons mon procédé au
document en question!»
Mon oncle, retombé dans son absorbante contemplation, oubliait déjà mes imprudentes
paroles. Je dis imprudentes, car la tête du savant ne pouvait comprendre les choses du
coeur. Mais, heureusement, la grande affaire du document l'emporta.
Au moment de faire son expérience capitale, les yeux du professeur Lidenbrock lancèrent
des
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