Voyage au Centre de la Terre | Page 9

Jules Verne
sa vie. Je me tairai; je garderai ce secret dont le hasard m'a rendu ma?tre; le d��couvrir, ce serait tuer le professeur Lidenbrock. Qu'il le devine, s'il le peut; je ne veux pas me reprocher un jour de l'avoir conduit �� sa perte.
Ceci bien r��solu, je me croisai les bras, et j'attendis. Mais j'avais compt�� sans un incident qui se produisit �� quelques heures de l��.
Lorsque la bonne Marthe voulut sortir de la maison pour se rendre au march��, elle trouva la porte close; la grosse clef manquait �� la serrure.
Qui l'avait ?t��e? Mon oncle ��videmment, quand il rentra la veille apr��s son excursion pr��cipit��e.
��tait-ce �� dessein? ��tait-ce par m��garde? Voulait-il nous soumettre aux rigueurs de la faim? Cela m'e?t paru un peu fort. Quoi! Marthe et moi, nous serions victimes d'une situation qui ne nous regardait pas le moins du monde? Sans doute, et je me souvins d'un pr��c��dent de nature �� nous effrayer. En effet, il y a quelques ann��es, �� l'��poque o�� mon oncle travaillait �� sa grande classification min��ralogique, il demeura quarante-huit heures sans manger, et toute sa maison dut se conformer �� cette di��te scientifique. Pour mon compte, j'y gagnai des crampes d'estomac fort peu r��cr��atives chez un gar?on d'un naturel assez vorace.
Or, il me parut que le d��jeuner allait faire d��faut comme le souper de la veille. Cependant je r��solus d'��tre h��ro?que et de ne pas c��der devant les exigences de la faim. Marthe prenait cela tr��s au s��rieux et se d��solait, la bonne femme. Quant �� moi, l'impossibilit�� de quitter la maison me pr��occupait davantage et pour cause. On me comprend bien.
Mon oncle travaillait toujours; son imagination se perdait dans le monde id��al des combinaisons; il vivait loin de la terre, et v��ritablement en dehors des besoins terrestres.
Vers midi, la faim m'aiguillonna s��rieusement; Marthe, tr��s innocemment, avait d��vor�� la veille les provisions du garde-manger; il ne restait plus rien �� la maison, Cependant je tins bon. J'y mettais une sorte de point d'honneur.
Deux heures sonn��rent. Cela devenait ridicule, intol��rable m��me; j'ouvrais des yeux d��mesur��s. Je commen?ai �� me dire que j'exag��rais l'importance du document; que mon oncle n'y ajouterait pas foi; qu'il verrait l�� une simple mystification; qu'au pis aller on le retiendrait malgr�� lui, s'il voulait tenter l'aventure; qu'enfin il pouvait d��couvrit lui-m��me la clef du ?chiffre?, et que j'en serais alors pour mes frais d'abstinence.
Ces raisons, que j'eusse rejet��es la veille avec indignation, me parurent excellentes; je trouvai m��me parfaitement absurde d'avoir attendu si longtemps, et mon parti fut pris de tout dire.
Je cherchais donc une entr��e en mati��re, pas trop brusque, quand le professeur se leva, mit son chapeau et se pr��para �� sortir.
Quoi, quitter la maison, et nous enfermer encore! Jamais.
?Mon oncle!? dis-je.
Il ne parut pas m'entendre.
?Mon oncle Lidenbrock! r��p��tai-je en ��levant la voix.
--Hein? fit-il comme un homme subitement r��veill��.
--Eh bien! cette clef?
--Quelle clef? La clef de la porte?
--Mais non, m'��criai-je, la clef du document!?
Le professeur me regarda par-dessus ses lunettes; il remarqua sans doute quelque chose d'insolite dans ma physionomie, car il me saisit vivement le bras, et, sans pouvoir parler, il m'interrogea du regard. Cependant jamais demande ne fut formul��e d'une fa?on plus nette.
Je remuai la t��te de haut en bas.
Il secoua la sienne avec une sorte de piti��, comme s'il avait affaire �� un fou.
Je fis un geste plus affirmatif.
Ses yeux brill��rent d'un vif ��clat; sa main devint mena?ante.
Cette conversation muette dans ces circonstances e?t int��ress�� le spectateur le plus indiff��rent. Et vraiment j'en arrivais �� ne plus oser parler, tant je craignais que mon oncle ne m'��touffat dans les premiers embrassements de sa joie. Mais il devint si pressant qu'il fallut r��pondre.
?Oui, cette clef!... le hasard!...
--Que dis-tu? s'��cria-t-il avec une indescriptible ��motion.
--Tenez, dis-je en lui pr��sentant la feuille de papier sur laquelle j'avais ��crit, lisez.
--Mais cela ne signifie rien! r��pondit-il en froissant la feuille.
--Rien, en commen?ant �� lire par le commencement, mais par la fin...?
Je n'avais pas achev�� ma phrase que le professeur poussait un cri, mieux qu'un cri, un v��ritable rugissement! Une r��v��lation venait de se faire, dans son esprit. Il ��tait transfigur��.
?Ah! ing��nieux Saknussemm! s'��cria-t-il, tu avais donc d'abord ��crit ta phrase �� l'envers!?
Et se pr��cipitant sur la feuille de papier, l'oeil trouble, la voix ��mue, il lut le document tout entier, en remontant de la derni��re lettre �� la premi��re.
Il ��tait con?u en ces termes:
_In Sneffels Yoculis craterem kem delibat umbra Scartaris Julii intra calendas descende, audas viator, et terrestre centrum attinges. Kod feci. Arne Saknussem_.
Ce qui, de ce mauvais latin, peut ��tre traduit ainsi:
_Descends dans le crat��re du Yocul de Sneffels que l'ombre du Scartaris vient caresser avant les calendes de Juillet, voyageur audacieux, et tu parviendras au centre de la Terre. Ce que j'ai fait. Arne Saknussemm_,
Mon oncle, �� cette lecture, bondit comme s'il e?t inopin��ment touch�� une bouteille de
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