Voyage au Centre de la Terre | Page 7

Jules Verne
son d?ner? fit la vieille servante.
--Il ne d?nera pas!
--Et son souper?
--Il ne soupera pas!
--Comment? dit Marthe en joignant les mains.
--Non, bonne Marthe, il ne mangera plus, ni personne dans la maison! Mon oncle Lidenbrock nous met tous �� la di��te jusqu'au moment o�� il aura d��chiffr�� un vieux grimoire qui est absolument ind��chiffrable!
--J��sus! nous n'avons donc plus qu'�� mourir de faim!?
Je n'osai pas avouer qu'avec un homme aussi absolu que mon oncle, c'��tait un sort in��vitable.
La vieille servante, s��rieusement alarm��e, retourna dans sa cuisine en g��missant.
Quand je fus seul, l'id��e me vint d'aller tout conter �� Gra��ben; mais comment quitter la maison? Et s'il m'appelait? Et s'il voulait recommencer ce travail logogriphique, qu'on e?t vainement propos�� au vieil OEdipe! Et si je ne r��pondais pas �� son appel, qu'adviendrait-il?
Le plus sage ��tait de rester. Justement, un min��ralogiste de Besan?on venait de nous adresser une collection de g��odes siliceuses qu'il fallait classer. Je me mis au travail. Je triai, j'��tiquetai, je disposai dans leur vitrine toutes ces pierres creuses au-dedans desquelles s'agitaient de petits cristaux.
Mais cette occupation ne m'absorbait pas; l'affaire du vieux document ne laissait point de me pr��occuper ��trangement. Ma t��te bouillonnait, et je me sentais pris d'une vague inqui��tude. J'avais le pressentiment d'une catastrophe prochaine.
Au bout d'une heure, mes g��odes ��taient ��tag��es avec ordre. Je me laissai aller alors dans le grand fauteuil d'Utrecht, les bras ballants et la t��te renvers��e. J'allumai ma pipe �� long tuyau courbe, dont le fourneau sculpt�� repr��sentait une na?ade nonchalamment ��tendue; puis, je m'amusai �� suivre les progr��s de la carbonisation, qui de ma na?ade faisait peu �� peu une n��gresse accomplie. De temps en temps, j'��coutais si quelque pas retentissait dans l'escalier. Mais non. O�� pouvait ��tre mon oncle en ce moment? Je me le figurais courant sous les beaux arbres de la route d'Altona, gesticulant, tirant au mur avec sa canne, d'un bras violent battant les herbes, d��capitant les chardons et troublant dans leur repos les cigognes solitaires.
Rentrerait-il triomphant ou d��courag��? Qui aurait raison l'un de l'autre, du secret ou de lui? Je m'interrogeais ainsi, et, machinalement, je pris entre mes doigts la feuille de papier sur laquelle s'allongeait l'incompr��hensible s��rie des lettres trac��es par moi. Je me r��p��tais:
?Qu'est-ce que cela signifie??
Je cherchai �� grouper ces lettres de mani��re �� former des mots. Impossible. Qu'on les r��unit par deux, trois, ou cinq, ou six, cela ne donnait absolument rien d'intelligible; il y avait bien les quatorzi��me; quinzi��me et seizi��me lettres qui faisaient le mot anglais ?ice?, et la quatre-vingt-quatri��me, la quatre-vingt-cinqui��me et la quatre-vingt-sixi��me formaient le mot ?sir?. Enfin, dans le corps du document, et �� la deuxi��me et �� la troisi��me ligne, je remarquai aussi les mots latins ?rota?, ?mutabile?, ?ira?, ?neo?, ?atra?.
?Diable, pensai-je, ces derniers mots sembleraient donner raison �� mon oncle sur la langue du document! Et m��me, �� la quatri��me ligne, j'aper?ois encore le mot ?luco? qui se traduit par ?bois sacr��?. Il est vrai qu'�� la troisi��me, on lit le mot ?tabiled? de tournure parfaitement h��bra?que, et �� la derni��re, les vocables ?mer?, ?arc?, ?m��re?, qui sont purement fran?ais.?
Il y avait l�� de quoi perdre la t��te! Quatre idiomes diff��rents dans cette phrase absurde! Quel rapport pouvait-il exister entre les mots ?glace, monsieur, col��re, cruel, bois sacr��, changeant, m��re, arc ou mer?? Le premier et le dernier seuls se rapprochaient facilement; rien d'��tonnant que, dans un document ��crit en Islande, il f?t question d'une ?mer de glace?. Mais de l�� �� comprendre le reste du cryptogramme, c'��tait autre chose.
Je me d��battais donc contre une insoluble difficult��; mon cerveau s'��chauffait; mes yeux clignaient sur la feuille de papier; les cent trente-deux lettres semblaient voltiger autour de moi, comme ces larmes d'argent qui glissent dans l'air autour de notre t��te, lorsque le sang s'y est violemment port��.
J'��tais en proie �� une sorte d'hallucination; j'��touffais; il me fallait de l'air. Machinalement, je m'��ventai avec la feuille de papier, dont le verso et le recto se pr��sent��rent successivement �� mes regards.
Quelle fut ma surprise, quand, dans l'une de ces voltes rapides, au moment o�� le verso se tournait vers moi, je crus voir appara?tre des mots parfaitement lisibles, des mots latins, entre autres ?craterem? et ?terrestre?
Soudain une lueur se fit dans mon esprit; ces seuls indices me firent entrevoir la v��rit��; j'avais d��couvert la loi du chiffre. Pour lire ce document, il n'��tait pas m��me n��cessaire de le lire �� travers la feuille retourn��e! Non. Tel il ��tait, tel il m'avait ��t�� dict��, tel il pouvait ��tre ��pel�� couramment. Toutes les ing��nieuses combinaisons du professeur se r��alisaient; il avait eu raison pour la disposition des lettres, raison pour la langue du document! Il s'en fallut d'un ?rien? qu'il p?t lire d'un bout �� l'autre cette phrase latine, et ce ?rien?, le hasard venait de me le donner!
On comprend si
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