qu'il avait jouée en province.
La mode de représenter ces petites farces après de grandes pièces était perdue à l'h?tel de Bourgogne. Le roi agréa l'offre de Molière, et l'on joua dans l'instant "le Docteur amoureux". Depuis ce temps, l'usage a toujours continué de donner de ces pièces d'un acte ou de trois après les pièces de cinq.
On permit à la troupe de Molière de s'établir à Paris ; ils s'y fixèrent, et partagèrent le théatre du Petit-Bourbon avec les comédiens italiens, qui en étaient en possession depuis quelques années.
La troupe de Molière jouait sur ce théatre les mardis, les jeudis et les samedis ; et les Italiens, les autres jours.
La troupe de l'h?tel de Bourgogne ne jouait aussi que trois fois la semaine, excepté lorsqu'il y avait des pièces nouvelles.
Dès lors, la troupe de Molière prit le titre de "la Troupe de Monsieur", qui était son protecteur. Deux ans après, en 1660, il leur accorda la salle du Palais-Royal. Le cardinal de Richelieu l'avait fait batir pour la représentation de "Mirame", tragédie dans laquelle ce ministre avait composé plus de cinq cents vers. Cette salle est aussi mal construite que la pièce pour laquelle elle fut batie ; et je suis obligé de remarquer à cette occasion, que nous n'avons aujourd'hui aucun théatre supportable : c'est une barbarie gothique que les Italiens nous reprochent avec raison. Les bonnes pièces sont en France, et les belles salles en Italie.
La troupe de Molière eut la jouissance de cette salle jusqu'à la mort de son chef. Elle fut alors accordée à ceux qui eurent le privilège de l'Opéra, quoique ce vaisseau soit moins propre encore pour le chant que pour la déclamation.
Depuis l'an 1658 jusqu'à 1673, c'est à dire en quinze années de temps, il donna toutes ses pièces, qui sont au nombre de trente. Il voulut jouer dans la tragédie, mais il n'y réussit pas ; il avait une volubilité dans la voix, et une espèce de hoquet qui ne pouvait convenir au genre sérieux, mais qui rendait son jeu comique plus plaisant. La femme (3) d'un des meilleurs comédiens que nous ayons eus a donné ce portrait-ci de Molière :
<< Il n'était ni trop gras ni trop maigre ; il avait la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle ; il marchait gravement, avait l'air très sérieux, le nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts ; et les divers mouvements qu'il leur donnait lui rendaient la physionomie extrêmement comique. A l'égard de son caractère, il était doux, complaisant, généreux. Il aimait fort à haranguer ; et quand il lisait ses pièces aux comédiens, il voulait qu'ils y amenassent leurs enfants, pour tirer des conjectures de leur mouvement naturel. >>
Molière se fit dans Paris un très grand nombre de partisans, et presque autant d'ennemis. Il accoutuma le public, en lui faisant conna?tre la bonne comédie, à le juger lui-même très sévèrement. Les mêmes spectateurs qui applaudissaient aux pièces médiocres des autres auteurs, relevaient les moindres défauts de Molière avec aigreur. Les hommes jugent de nous par l'attente qu'ils en ont con?ue ; et le moindre défaut d'un auteur célèbre, joint avec les malignités du public, suffit pour faire tomber un bon ouvrage. Voilà pourquoi "Britannicus" et "les Plaideurs" de M. Racine furent si mal re?us ; voilà pourquoi "l'Avare", "le Misanthrope", "les Femmes savantes", "l'Ecole des Femmes" n'eurent d'abord aucun succès.
Louis XIV, qui avait un go?t naturel et l'esprit très juste, sans l'avoir cultivé, ramena souvent, par son approbation, la cour et la ville aux pièces de Molière. Il e?t été plus honorable pour la nation de n'avoir pas besoin des décisions de son prince pour bien juger. Molière eut des ennemis cruels, surtout les mauvais auteurs du temps, leurs protecteurs et leurs cabales : ils suscitèrent contre lui les dévots ; on lui imputa des livres scandaleux ; on l'accusa d'avoir joué des hommes puissants, tandis qu'il n'avait joué que les vices en général ; et il e?t succombé sous ces accusations, si ce même roi, qui encouragea et qui soutint Racine et Despréaux, n'e?t pas aussi protégé Molière.
Il n'eut à la vérité qu'une pension de mille livres, et sa troupe n'en eut qu'une de sept. La fortune qu'il fit par le succès de ses ouvrages le mit en état de n'avoir rien de plus à souhaiter ; ce qu'il retirait du théatre, avec ce qu'il avait placé, allait à trente mille livres de rente ; somme qui, en ce temps-là, faisait presque le double de la valeur réelle de pareille somme d'aujourd'hui.
Le crédit qu'il avait auprès du roi para?t assez par le canonicat qu'il obtint pour le fils de son médecin. Ce médecin s'appelait Mauvilain. Tout le monde sait qu'étant un jour au d?ner du roi :
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