voyant ce go?t décidé et craignant, s'il ne le satisfaisait point, qu'il ne se livrat à son autre inclination toujours subsistante pour la marine, le destina enfin à être imprimeur. Il le pla?a en 1718 chez l'un de ses fils, nommé James, qui était revenu d'Angleterre, l'année précédente, avec une presse et des caractères d'imprimerie. Le contrat d'apprentissage fut conclu pour neuf ans. Pendant les huit premières années Benjamin Franklin devait servir sans rétribution son frère, qui, en retour, devait le nourrir et lui donner, la neuvième année, le salaire d'un ouvrier.
Il devint promptement très-habile. Il avait beaucoup d'adresse, qu'il accrut par beaucoup d'application. Il passait le jour à travailler, et une partie de la nuit à s'instruire. C'est alors qu'il étudia tout ce qu'il ignorait, depuis la grammaire jusqu'à la philosophie; qu'il apprit l'arithmétique, dont il savait imparfaitement les règles, et à laquelle il ajouta la connaissance de la géométrie et la théorie de la navigation; qu'il fit l'éducation méthodique de son esprit, comme il fit un peu plus tard celle de son caractère. Il y parvint à force de volonté et de privations. Celles-ci, du reste, lui co?taient peu, quoiqu'il pr?t sur la qualité de sa nourriture et les heures de son repos pour se procurer les moyens et le temps d'apprendre. Il avait lu qu'un auteur ancien, s'élevant contre l'usage de manger de la chair, recommandait de ne se nourrir que de végétaux. Depuis ce moment, il avait pris la résolution de ne plus rien manger qui e?t vie, parce qu'il croyait que c'était là une habitude à la fois barbare et pernicieuse. Pour tirer profit de sa sobriété systématique, il avait proposé à son frère de se nourrir lui-même, avec la moitié de l'argent qu'il dépensait pour cela chaque semaine. L'arrangement fut agréé; et Franklin, se contentant d'une soupe du gruau qu'il faisait grossièrement lui-même, mangeant debout et vite un morceau de pain avec un fruit, ne buvant que de l'eau, n'employa point tout entière la petite somme qui lui fut remise par son frère. Il économisa sur elle assez d'argent pour acheter des livres, et, sur les heures consacrées aux repas, assez de temps pour les lire.
Les ouvrages qui exercèrent le plus d'influence sur lui furent: l'_Essai sur l'entendement humain de Locke, le Spectateur_ d'Addison, les Faits mémorables de Socrate par Xénophon. Il les lut avidement, et y chercha des modèles de réflexion, de langage, de discussion. Locke devint son ma?tre dans l'art de penser, Addison dans celui d'écrire, Socrate dans celui d'argumenter. La simplicité élégante, la sobriété substantielle, la gravité fine et la pénétrante clarté du style d'Addison, furent l'objet de sa patiente et heureuse imitation. Une traduction des Lettres provinciales, dont la lecture l'enchanta, acheva de le former à l'usage de cette délicate et forte controverse où, guidé par Socrate et par Pascal, il mêla le bon sens caustique et la grace spirituelle de l'un avec la haute ironie et la vigueur invincible de l'autre.
Mais, en même temps qu'il acquit plus d'idées, il perdit les vieilles croyances de sa famille. Les oeuvres de Collins et de Shaftesbury le conduisirent à l'incrédulité par le même chemin que suivit Voltaire. Son esprit curieux se porta sur la religion pour douter de sa vérité, et il fit servir sa subtile argumentation à en contester les vénérables fondements. Il resta quelque temps sans croyance arrêtée, n'admettant plus la révélation chrétienne, et n'étant pas suffisamment éclairé par la révélation naturelle. Cessant d'être chrétien soumis sans être devenu philosophe assez clairvoyant, il n'avait plus la règle morale qui lui avait été transmise, et il n'avait point encore celle qu'il devait bient?t se donner lui-même pour ne jamais l'enfreindre.
CHAPITRE III
Relachement de Franklin dans ses croyances et dans sa conduite Ses fautes, qu'il appelle ses errata.
La conduite de Franklin se ressentit du changement de ses principes: elle se relacha. C'est alors qu'il commit les trois ou quatre fautes qu'il nomme les errata de sa vie, et qu'il corrigea ensuite avec grand soin, tant il est vrai que les meilleurs instincts ont besoin d'être soutenus par de fermes doctrines.
La première faute de Franklin fut un manque de bonne foi à l'égard de son frère. Il n'avait pas à se louer de lui. Son frère était exigeant, jaloux, impérieux, le maltraitait quelquefois, et il exer?ait sans ménagement et sans affection l'autorité que la règle et l'usage donnaient au ma?tre sur son apprenti. Il trouvait le jeune Franklin trop vain de son esprit et de son savoir, bien qu'il e?t tiré de l'un et de l'autre un très-bon parti pour lui-même. Il avait en effet commencé vers 1721 à imprimer un journal intitulé the New England Courant. C'était le second qui paraissait en Amérique. Le premier s'appelait _the Boston News Letter_. Le jeune Franklin, après en avoir composé les planches et tiré les feuilles,
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