Une politique europèenne : la France, la Russie, lAllemagne et la guerre au Transvaal | Page 2

Etienne Grosclaude
publique sont-elles dans la légèreté de
l'esprit français? dans un abaissement des caractères déprimés par la
plus stupéfiante humiliation nationale? dans une démoralisation
consécutive à l'accroissement et à la vulgarisation du bien-être matériel,
qui rétrécit les idées au calibre des petits intérêts immédiats? dans le
cosmopolitisme financier, qui subordonne les principes aux effets et les
sentiments aux profits palpables? Peut-être faudrait il les rechercher
surtout dans deux ordres de phénomènes dont l'un est néfaste et gros de
menaces, tandis que l'autre, en compensation, nous ouvre un avenir
plein de promesses et soutient les plus radieuses en même temps que
les plus solides espérances de la patrie française: à notre passif, le
découragement où ce pays est enfoncé chaque jour davantage par le
pessimisme d'une presse acharnée à ne fouiller que le mal, à n'étaler
que les plaies, à ne publier que les hideurs d'une nation dont la santé n'a
jamais été plus exubérante, dont la fécondité au bien et la faculté du
beau ne font doute que pour elle-même, et dont la principale cause de
faiblesse est dans ce régime énervant qui la réduirait bien vite à une
hypocondrie plus désastreuse que ne le seraient de véritables infirmités.
Pour ce qui est de notre actif, avec quelle encourageante satisfaction on
y inscrit le prodigieux mouvement d'une expansion coloniale, qui,
depuis vingt ans, a suscité tant d'admirables énergies, secoué la torpeur
des énergies industrielles et commerciales, ranimé l'esprit d'entreprise
somnolent depuis un siècle, fait réapparaître l'initiative individuelle
dont l'effacement nous menaçait d'une décadence irrémédiable, et
ouvert à l'activité, par conséquent à la prospérité nationale, un vaste
empire dont le spectacle doit suffire à nous rendre le sentiment
indispensable de notre force et de notre valeur!
Voilà ce que nous a donné notre politique coloniale; il est vrai que nous
n'avons pas été seuls à en bénéficier et qu'elle a valu la paix à l'Europe.
On lui en a fait un crime.
Le grief était-il fondé?

Il l'était sans aucun doute, si l'on a lieu de croire que, sans l'oeuvre
absorbante qui nous a successivement occupés en Tunisie, au Tonkin,
au Soudan et à Madagascar, nous nous fussions trouvés dans les
conditions morales et matérielles indispensables pour assurer la
réparation des catastrophes de 1870 et la reprise de l'Alsace-Lorraine.
Si, au contraire, en imaginant que ne se fût pas développée cette
grandiose épopée coloniale, qui, sans détourner une proportion
excessive de nos forces continentales, nous a valu une immense
extension territoriale et un indéniable relèvement de notre situation
morale, de notre crédit européen, de notre «standing», comme disent les
Anglais; si l'on est amené par l'examen de cette hypothèse à la
conclusion qu'en l'absence de toute cette activité au dehors, nous
n'aurions pas davantage tiré parti en Europe de notre liberté
d'action,--faute de pouvoir compter sur l'état d'esprit indispensable pour
mener à bien la plus formidable entreprise militaire des temps
modernes,--et que tout se serait borné à en parler davantage et à y
penser plus longtemps, mais sans rien faire de plus; alors il faut
proclamer que notre politique coloniale a été un grand bienfait pour la
France en même temps que pour le reste de l'univers,--à l'exception de
l'empire britannique,--et que Jules Ferry fut un des hommes d'État les
plus avisés de notre époque.
En dépit des efforts constants de l'Angleterre souveraine de toutes les
eaux, et qui navigue avec une supériorité particulière dans l'eau
trouble,--la situation de l'Europe s'est visiblement clarifiée depuis
quelques années; non seulement il apparaît qu'une unité d'action
momentanée y serait possible dans des cas déterminés, mais il semble
même qu'elle serait facilitée par le groupement actuel des forces
opposées en deux faisceaux, que rien n'empêcherait de diriger à un
moment donné dans le même sens, quitte à les laisser reprendre,
l'instant d'après, leur orientation habituelle. Cette synergie
occasionnelle, il ne faut pas l'oublier, s'est déjà manifestée dans les
affaires de Chine, où la France et la Russie, d'accord sur ce point, et sur
ce point seulement, avec l'Allemagne, ont «syndiqué» leurs intérêts en
face de l'Angleterre.

C'est à dessein que j'emprunte au langage des gens d'affaires ce terme
significatif, puisque aussi bien toutes les grandes nations out reconnu
l'avantage d'emprunter à l'impérialisme britannique sa politique de
«business», au moment où se débattent en Asie et en Afrique les
intérêts matériels les plus considérables et où sir Charles Beresford, au
retour de son importante mission en Extrême-Orient, s'intitule avec une
apparente modestie «le commis-voyageur» de la Grande-Bretagne.
Les nations européennes semblent être parvenues à ce point de
développement où l'individu, sentant se ralentir sa facilités de produire,
met à profit sa vieille expérience pour tirer parti du travail d'autrui; c'est
pour cela que, sur toute la surface du globe, se débat présentement la
compétition la plus âpre qui ait jamais mis des gens d'affaires aux
prises: le partage des
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