Teverino | Page 3

George Sand
Oh! vous êtes le meilleur des hommes. Tenez, je ressens déjà l'effet de votre promesse, comme les malades qui se trouvent soulagés par la vue du médecin, et qui sont guéris d'avance par la certitude qu'il affecte de les guérir. Allons, je vous obéis, docteur improvisé, docteur subtil, docteur admirable! Je m'habille à la hate, nous partons à jeun, et nous allons... où bon vous semblera... Quel équipage dois-je commander?
--Aucun, vous ne vous mêlerez de rien, vous ne saurez rien; c'est moi qui prévois et commande, puisque c'est moi qui invente.
--A la bonne heure, c'est charmant! s'écria-t-elle; et, refermant sa fenêtre, elle alla sonner ses femmes, qui bient?t abaissèrent un lourd rideau de damas bleu entre elle et les regards de Léonce. Il alla donner quelques ordres, puis revint s'asseoir non loin de la fenêtre de Sabina, au pied d'une statue, et se prit à rêver.
--Eh bien! s'écria lady G. au bout d'une demi-heure, en lui frappant légèrement sur l'épaule, vous n'êtes pas plus occupé de notre départ que cela? vous me promettez des inventions merveilleuses, des surprises inou?es, et vous êtes là à méditer sur la statuaire comme un homme qui n'a encore rien trouvé?
--Tout est prêt, dit Léonce en se levant et en passant le bras de Sabina sous le sien. Ma voiture vous attend et j'ai trouvé des choses admirables.
--Est-ce que nous nous en allons comme cela tête à tête? observa lady G...
?Voilà un mouvement de coquetterie dont je ne la croyais pas capable, pensa Léonce. Eh bien! je n'en profiterai pas.?
--Nous emmenons la régresses, répondit-il.
--Pourquoi la négresse? dit Sabina.
--Parce qu'elle pla?t à mon jockey. A son age toutes les femmes sont blanches, et il ne faut pas que nos compagnons de voyage s'ennuient, autrement ils nous ennuieraient.
Peu d'instants après, le jockey avait re?u les instructions de son ma?tre, sans que Sabina les entend?t. La négresse, armée d'un large parasol blanc, souriait à ses c?tés, assise sur le siège large et bas du char-à-bancs. Lady G... était nonchalamment étendue dans le fond, et Léonce, placé respectueusement en face d'elle, regardait le paysage en silence; ses chevaux allaient comme le vent.
C'était la première fois que Sabina se hasardait avec Léonce dans un tête-à-tête qui pouvait être plus long et plus complet qu'elle ne s'en était embarrassée d'abord. Malgré le projet de simple promenade, et la présence de ces deux jeunes serviteurs qui leur tournaient le dos et causaient trop gaiement ensemble pour songer à écouter leur entretien, Sabina sentit qu'elle était trop jeune pour que cette situation ne ressemblat pas à une étourderie; elle y songea lorsqu'elle eut franchi la dernière grille du parc.
Mais Léonce paraissait si peu disposé à prendre avantage de son r?le, il était si sérieux, et si absorbé par le lever du soleil, qui commen?ait à montrer ses splendeurs, qu'elle n'osa pas témoigner son embarras, et crut devoir, au contraire, le surmonter pour para?tre aussi tranquille que lui.
Ils suivaient une route escarpée d'où l'on découvrait toute l'enceinte de la verdoyante vallée, le cours des torrents, les montagnes couronnées de neiges éternelles, que les premiers rayons du soleil teignaient de pourpre et d'or.
--C'est sublime! dit enfin Sabina, répondant à une exclamation de Léonce; mais savez-vous qu'à propos du soleil, je pense, malgré moi, à mon mari?
--A propos, en effet, dit Léonce, où est-il?
--Mais il est à la villa; il dort.
--Et se réveille-t-il de bonne heure?
--C'est selon. Lord G... est plus ou moins matinal, selon la quantité de vin qu'il a bue à son souper. Et comment puis-je le savoir, puisque je me suis soumise à cette règle anglaise, si bien inventée pour empêcher les femmes de modérer l'intempérance des hommes!
--Mais le terme moyen?
--Midi. Nous serons rentrés à cette heure-là?
--Je l'ignore, Madame; cela ne dépend pas de votre volonté.
--Vrai! J'aime à vous entendre plaisanter ainsi; cela flatte mon désir de l'inconnu. Mais sérieusement, Léonce?...
--Très-sérieusement, Sabina, je ne sais pas à quelle heure vous rentrerez. J'ai été autorisé par vous à régler l'emploi de votre journée.
--Non pas! de ma matinée seulement.
--Pardon! Vous n'avez pas limité la durée de votre promenade, et, dans mes projets, je ne me suis pas désisté du droit d'inventer à mesure que l'inspiration viendrait me saisir. Si vous mettez un frein à mon génie, je ne réponds plus de rien.
--Qu'est-ce à dire?
--Que je vous abandonnerai à votre ennemi mortel, à l'ennui.
--Quelle tyrannie! Mais enfin, si, par un hasard étrange, lord G... a été sobre hier soir?...
--Avec qui a-t-il soupé?
--Avec lord H..., avec M. D..., avec sir J..., enfin, avec une demi-douzaine de ses chers compatriotes.
--En ce cas, soyez tranquille, il fera le tour du cadran.
--Mais si vous vous trompez?
--Ah! Madame, si vous doutez déjà de la Providence, c'est-à-dire de moi, qui veille aujourd'hui à la place de Dieu sur vos destinées, si la foi vous manque, si vous regardez en arrière et en
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