nappe assoupie semblait l'arène d'un immense amphithéatre.
à gauche et à droite, des montagnes escarpées, sans apparence de verdure. Elles se rejoignaient devant nous à la distance de quelques milles pour étrangler le cours pittoresque d'une petite rivière perdant ses eaux dans le fond de la rade. Mais nous ne pouvions la voir. Nous distinguions seulement les plaques sombres des bois de sapins descendant dans la vallée. Une forêt de mats, navires de guerre et bateaux pêcheurs, nous dérobait le premier plan.
Aussi bien, n'était-ce point par là que nos regards se sentaient d'abord attirés, mais vers le charmant tableau de cette ville dont les maisons prochaines trempaient leurs pieds dans les flots, tandis que les autres, de gradin en gradin, s'élevant jusqu'au fa?te de la colline, semblaient se presser autour de la cathédrale catholique qui édifiait dans le ciel ses tours puissantes.
Heureux ceux qui ont passé là, et qui, sans quitter le pont du navire, ont conservé l'impression d'un si riant spectacle! Pour moi, qui ai vu de trop près le décor, je ne retrouverai sans doute plus mon admiration première que le jour où, laissant ce rivage, le vaisseau qui m'emportera me permettra de le contempler une suprême fois en lui disant adieu.
* * *
C'était donc le 1er juin. Cette date éveille en vous, à coup s?r, des sensations toutes différentes de celles qu'on éprouve ici à la même époque. Un mot alors, si vous le permettez, sur le climat et les saisons.
Tandis que les glaces s'échouaient sur le rivage, la neige elle-même, sur la terre, avait oublié de fondre en plusieurs endroits. La nature ne paraissait nullement songer au réveil. Cependant, le soleil commen?ait à réchauffer le sol humide de la fonte des neiges. Une sorte de vapeur tiède semblait comme flotter invisible dans l'atmosphère.
Et le lendemain, plus de soleil: le froid, le pardessus d'hiver, et les bourgeons restaient blottis sous leurs couvertures. Vers le 15 juin, les mieux abrités se hasardèrent tout de même à montrer le nez. Puis, encouragés par quelques jours de soleil, tout d'un coup, ils s'épanouirent en masse, et le 30 juin, tout était en fleur, tout était en feuilles.
C'était l'été succédant brusquement à l'hiver.
Mais un été perfide, avec des rayons br?lants ou des nuages glacials. Dès que le soleil était caché et que le vent soufflait, il fallait se couvrir.
?Patience! nous disait-on, patience: nous aurons bient?t l'été indien. Vous verrez comme il fait beau alors.?
Octobre arriva. Les pluies avaient cessé; le soleil, chaque matin, sortait des flots en secouant sa crinière d'or, éblouissante.
C'était l'automne: c'était l'été indien.
Cela dura environ deux mois, de la mi-septembre à la mi-novembre.
Puis le froid arriva peu à peu, bien que ce ne f?t réellement qu'avec la nouvelle année que l'hiver sévit dans toute sa rigueur. Le vent, qui garde ici un empire éternel, nous l'apporta un jour, brusquement, tout enveloppé de neige.
Il faut vous dire que Terre-Neuve est la patrie du vent. Pour s?r le vieil éole devait avoir, jadis, par là, quelque chateau. Il souffle toujours de quelque part et produit des amoncellements de neige prodigieux.
Mais où il devient dangereux, c'est lorsqu'il soulève en épais tourbillons cette neige si fine et cristallisée qui, à la lumière de la lune, semble une poussière de diamant. En un instant on est aveuglé et poudré de la tête aux pieds. Bien heureux lorsqu'en même temps on n'est pas obligé de lutter contre la tempête pour rester debout.
Pareille aventure m'est arrivée, pour la première fois, un soir de la semaine dernière. Grace à Dieu, nous étions trois pour nous tirer d'affaire.
Un fait assez curieux, c'est qu'ici la neige ne tombe pour ainsi dire jamais en gros flocons. Il en est de même, m'a-t-on dit, dans les régions arctiques.
De temps en temps, l'aquilon se fait zéphyr. Les nuages laissent le champ libre au soleil, et alors c'est comme un mirage de printemps avec le ciel bleu pale, l'Océan argenté de glace et les hautes falaises endormies sous leur blanche fourrure. Mais, tout à coup, le vent se décha?ne brutalement et passe, tout frissonnant des froides caresses de la neige.
On s'aper?oit alors que le thermomètre marque 20° Fahrenheit au-dessous de zéro, et que le port et la mer sont gelés. Puis on entend un coup de canon: c'est le steamer apportant le courrier d'Europe. Comment fera-t-il pour arriver jusqu'au quai, à travers cette cro?te de glace épaisse d'un pied et demi?
Le spectacle vaut la peine d'être vu, et même d'être raconté.
Il faut faire la brèche. Pour cela, le navire comme un bélier battant une tour s'élance à toute vapeur contre l'obstacle. Il le pénètre environ de toute sa longueur, et puis la résistance devient trop forte, et il faut prendre un nouvel élan. Il se recule alors pour se précipiter de nouveau de toute sa force et de toute sa vitesse. Et l'attaque
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